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Ne nous oubliez pas !

Le cri du cœur d'une déplacée de Birao, en République Centrafricaine (RCA)
, par Bruno Djoyo

A Birao, au nord de la RCA, à la frontière avec le Soudan, plus de 15.000 personnes ont fui leurs maisons à la suite des affrontements entre deux groupes rivaux. Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) en Centrafrique, n'étant pas présent sur place, a immédiatement déployé une équipe d'intervention afin de fournir une assistance alimentaire d'urgence à ces femmes, enfants et hommes totalement démunis. Je suis allé à la rencontre de Fatimé Tidjani qui fait partie de ces millions de personnes qui ont reçu cette assistance.

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Fatimé Tidjani fait partie des millions de personnes qui ont reçu l'assistance alimentaire du PAM à Birao, au nord de la RCA. WFP/Bruno Djoyo

« Merci pour ces biscuits, regardez comment mes petits-fils sont heureux d'en manger » me lance une femme, alors que je photographie des enfants qui dégustent les biscuits énergisants que le PAM vient de distribuer de toute urgence.

Curieux, je cherche à en savoir plus sur Fatimé Tidjani, cette femme courageuse, qui parle avec une telle spontanéité, dans cette ville où les personnes encore meurtries se murent dans un silence. Je décide donc de visiter son domicile. Sur le chemin vers son lieu d'habitation, Fatimé me raconte qu'elle a perdu son époux pendant les évènements sanglants qui ont secoué la RCA en 2012. Depuis 2012, le pays traverse une succession de crises ayant causé la mort de milliers de civils et précipité une majorité de la population dans la pauvreté.

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Sur le chemin conduisant au lieu d'habitation de Fatimé. WFP/Bruno Djoyo

Malheureusement pour elle, les affrontements qui se déroulent depuis ces deux dernières semaines dans Birao, lui rappelle ce douloureux souvenir. Quelques minutes plus tard, après avoir traversé les eaux usées qui pullulent un peu partout, Fatimé Tidjani me dit « Bienvenue chez moi ». Elle habite une maison de fortune, entourée de nappes d'eaux sales où fourmillent les moustiques. A l'intérieur de son domicile, des marmites sales et des vêtements en désordre, jonchent le sol.

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Les eaux sales aux alentours de la maison de Fatimé. WFP/Bruno Djoyo

« Quand je vois mes petits-fils se ruer sur ces biscuits, je peux comprendre que pour eux, ce n'est plus seulement un biscuit, mais de la nourriture » déclare cette brave mère qui a donné naissance à 10 enfants dont 5 filles et 5 garçons. En évoquant le nombre de ses enfants, elle m'avoue le ton meurtri : « Je n'ai en fait, plus que 4 garçons car l'un est décédé pendant la guerre ».

L'atmosphère est lourde. Le regard pesant, j'observe ses petits-enfants assis à même le sol en train de manger ces biscuits énergétiques qui leur fournissent des calories journalières nécessaires. Les enfants ont une conversation animée entre eux. Je demande à Fatimé de me traduire ce que ses petits-fils lui disent pendant qu'ils mangent les biscuits. « Ils me demandent d'où viennent ces biscuits ? J'ai donc répondu du PAM » m'explique-t-elle.

Amusé par sa réponse, je fais comprendre à cette brave dame, que le PAM a pu distribuer ces biscuits énergétiques, grâce aux financements des pays comme les États-Unis d'Amérique (USA) et la Norvège.

La localité de Birao est située à plus de 1000 km de la capitale Bangui. Etant donné la vétusté des infrastructures routières et l'occupation illicite de l'axe Bangui — Birao par les factions rebelles, il est impossible pour les humanitaires d'atteindre cette ville par la route. Ainsi, pour venir en aide aux enfants et femmes comme cette veuve, le PAM achemine par voie aérienne des cartons de biscuits énergétiques, en attendant l'arrivée des céréales, des légumineuses et de l'huile.

En observant ce lugubre décor que m'offre ce camp où cette grand-mère et ses petits-fils ont trouvé refuge, je me perds dans mes réflexions. Ni moi, ni même ces milliers de personnes ne comprennent réellement la vraie raison de ces tueries qui bouleversent des vies comme celle de Fatimé et ses petits-enfants. Tout à coup, comme pour me sortir de mes questionnements, Fatimé me lance ce message « Mon fils, tu as vu ma misère et celle des familles qui habitent ici, s'il vous plaît, ne nous oubliez pas ! »

En écoutant cette quinquagénaire me parler ainsi, je réalise que Fatimé lance par mon canal, un cri du cœur, dans l'espoir que celui-ci sera entendu et que le monde portera un regard et un intérêt particulier à cette crise Centrafricaine, qui bien des fois semble quelque peu oubliée.

Le PAM Centrafrique a urgemment besoin de ressources supplémentaires afin de voler au secours de milliers de personnes comme Fatimé Tidjani, qui se trouvent dans les nombreux foyers de tensions en RCA.