La faim sans frontières : les coupes dans l'aide humanitaire touchent les personnes déplacées en RCA et au Cameroun
Un convoi de minibus arrive dans le village de Beloko, à l'extrême ouest de la République centrafricaine, soulevant un nuage de poussière. Nafissa, qui porte ses jumeaux de 15 mois, est parmi les premières à descendre, suivie de près par son mari et sa fille de 10 ans.
Après avoir attendu des heures pour accomplir les formalités de transfert à la frontière camerounaise, située à quelques mètres, ils et les autres Centrafricains à bord sont impatients de respirer l'air frais et de se dégourdir les jambes. Ils sont de retour dans leur pays natal après plus d'une décennie d'exil.
« Je veux retrouver ma famille et vivre en paix », déclare Nafissa, qui a fui les troubles de son village natal de Nidi Ba, situé à environ 60 km. (En raison de son passé de réfugiée, son nom de famille n'est pas divulgué).
Sur les quelque 300 000 réfugiés centrafricains actuellement présents au Cameroun, de plus en plus font leurs valises et rentrent chez eux, alors que l'aide humanitaire se fait de plus en plus rare dans leur pays d'accueil et qu'une fragile stabilité s'installe en République centrafricaine (RCA).
Encouragés par leur gouvernement à se réinstaller, environ 40 000 réfugiés centrafricains, comme Nafissa, devraient rentrer en RCA cette année seulement, d'après l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), soit une augmentation significative par rapport aux 30 000 retours enregistrés au cours des cinq dernières années. La plupart d'entre eux viennent du Cameroun, qui accueille le plus grand nombre de réfugiés centrafricains de la région.
Après avoir été enregistrés dans un camp de transit à Beloko, l'un des deux principaux points d'entrée du Cameroun vers la RCA, Nafissa et sa famille reçoivent leur première aide alimentaire du Programme alimentaire mondial (PAM) : céréales, légumineuses, huile et sel. Ce soutien initial est crucial pour les familles qui repartent de zéro et retournent dans des communautés pauvres, profondément touchées par des années de violence.
Cependant, cette aide est menacée, car les fonds humanitaires s'épuisent. Auparavant, le PAM fournissait trois mois de rations alimentaires à chaque rapatrié. Aujourd'hui, l'agence ne distribue plus qu'un mois de provisions. Sans nouveaux dons, l'agence sera contrainte de suspendre toute aide aux rapatriés d'ici la fin de l'année.
« Le retour des Centrafricains est le signe que la stabilité est à portée de main », déclare Rasmus Egendal, directeur pays du PAM en République centrafricaine. « Mais si nous ne les aidons pas à reconstruire leur vie, nous risquons de transformer cette opportunité en une nouvelle crise. Les rapatriés ont besoin d'une aide immédiate pour se remettre sur pied et contribuer à l'avenir de leur pays. »
« La faim nous consume »
De l'autre côté de la frontière, au Cameroun, les opérations du PAM sont également touchées. Si les dons récents permettront au PAM de continuer à soutenir 20 000 exilés centrafricains au cours des prochains mois, ce chiffre ne représente toutefois qu'une faible proportion de la population totale de réfugiés du pays, qui comprend également des demandeurs d'asile originaires du Nigéria, du Tchad et du Niger. Les perspectives de financement à long terme de l'aide apportée par le PAM aux réfugiés sont incertaines.
« Aucun parent ne devrait jamais être contraint de choisir entre rester en exil ou rentrer chez lui simplement parce que ses enfants souffrent de la faim », déclare Gianluca Ferrera, directeur pays du PAM au Cameroun. « C'est pourtant la dure réalité pour des milliers de réfugiés centrafricains au Cameroun. »
Pour la plupart des 110 000 Centrafricains vivant dans l'est du Cameroun, à la frontière avec la RCA, les ressources du PAM sont presque entièrement épuisées. Pour l'instant, elles ne couvrent que les besoins des familles les plus vulnérables jusqu'à la fin de l'année. « Sans contributions urgentes, ces familles seront condamnées à faire le même choix impossible : la faim en exil ou la faim chez elles », déclare M. Ferrera.
C'est le choix auquel Halimatou est confrontée, dix ans après son arrivée au Cameroun. Propriétaire d'un magasin prospère dans le sud-est de la République centrafricaine, elle a fui son pays natal avec sa famille en 2014, alors que le conflit s'étendait. Aujourd'hui, elle vit avec sa famille dans le camp de réfugiés de Gado-Badzéré, dans l'est du Cameroun. Ce camp est constitué d'habitations de fortune en bois et en chaume, et se situe à 30 km de la frontière.
Lorsque l'aide alimentaire du PAM a pris fin, Halimatou s'est tournée vers l'agriculture de subsistance et le travail occasionnel pour joindre les deux bouts. Mais cela ne suffit pas à nourrir sa famille et sa santé est mauvaise. Comme Nafissa, Halimatou rentre donc chez elle.
« Je rentre parce que je suis fatiguée de lutter et de ne pas savoir comment nourrir mes enfants », explique-t-elle. « Mes petits dépérissent lentement à cause de la faim. »
Le retour à la maison
Mariamou, une autre réfugiée du camp, et ses six enfants se préparent à faire le même voyage. Eux non plus ne reçoivent plus d'aide du PAM.
« Ici, la faim nous ronge. Les jours passent sans que nous cuisinions quoi que ce soit », explique-t-elle. « Même si l'avenir en RCA est incertain, nous préférons rentrer. »
Ces histoires ne sont pas isolées. À Gado-Badzéré et dans d'autres camps de la région est du Cameroun, les retours volontaires s'accélèrent, non pas parce que les conditions en RCA sont idéales, selon le PAM et d'autres experts humanitaires, mais parce que la faim ne laisse aucune autre alternative aux familles. Beaucoup d'entre elles reviennent rapidement au Cameroun après avoir constaté que le rapatriement était trop difficile ou trop risqué.
Le gouverneur de la région de l'Est du Cameroun, Grégoire Mvongo, souligne que son pays ne peut pas assumer seul le fardeau des réfugiés. « Nous encourageons ceux qui souhaitent rentrer chez eux à le faire en toute sécurité », ajoute-t-il.
Comme les autres rapatriés, Nafissa et sa famille ne sont pas étrangers aux difficultés. En tant que réfugiés, ils se sont installés dans le camp de Gado-Badzéré, où leurs trois enfants sont nés.
Son mari travaillait comme chauffeur de moto-taxi, mais ses possibilités d'emploi étaient limitées. « Le PAM m'a aidée à mon arrivée au Cameroun », se souvient Nafissa. « Après toutes les violences que nous avons subies en RCA, c'était la seule aide alimentaire que nous recevions. »
Au Cameroun, l'aide du PAM s'inscrit dans le cadre d'une initiative plus large menée avec nos partenaires humanitaires pour garantir une réintégration digne. En collaboration avec les autorités locales, le PAM fournit de la nourriture et d'autres formes d'aide pour aider les familles rapatriées à subvenir à leurs besoins immédiats.
Pour l'instant, le plus grand espoir de Nafissa est de renouer avec ses racines et de retrouver sa famille élargie. « Je suis très heureuse de retourner en République centrafricaine », dit-elle.
Le PAM a besoin de près de 6 millions de dollars américains pour fournir une aide alimentaire complète aux rapatriés en République centrafricaine jusqu'en mars 2026. Au Cameroun, le PAM a besoin de plus de 10 millions de dollars pour soutenir les réfugiés centrafricains et les autres réfugiés présents dans le pays jusqu'en avril 2026.
Les opérations du PAM en faveur des réfugiés et des rapatriés dans ces deux pays sont respectivement soutenues par le Canada, la France, le Japon, les Pays-Bas, la Suède, le Royaume-Uni et les États-Unis.