Haïti ne peut pas attendre : La population est au bord du précipice alors que les niveaux de famine augmentent, selon un rapport sur la sécurité alimentaire
En Haïti, les bonnes nouvelles ont un revers. Bien sûr, la bonne nouvelle, c'est que les 19 200 personnes qui étaient confrontées à des conditions proches de la famine en octobre ne le sont plus. Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) a travaillé avec ses partenaires de mise en œuvre pour sauver les gens du précipice, en accédant à Cité Soleil.
Les niveaux de faim restent cependant extrêmement préoccupants. Cette partie appauvrie de Port-au-Prince, où vivent environ 100 000 personnes, est le lieu où la rivalité des gangs armés, qui ont envahi la majeure partie de la capitale, trouve régulièrement son expression la plus violente. Cela réduit considérablement l'accès des habitants à l'emploi, à la nourriture, au carburant et à tout semblant de vie sans terreur - une terreur qui se lit dans les yeux de Nerlande. "Regardez mon ventre", dit-elle. "Je n'ai pas mangé depuis deux jours.
Nerlande a six enfants qu'elle élève seule. "Des bandits sont partis avec mon mari et l'ont tué", dit-elle lors d'une distribution dans le quartier de Brooklyn, à Cité Soleil.
Quand les choses vont vraiment mal, elle est obligée de "demander la charité" dans la rue. Ses yeux s'écarquillent lorsqu'elle dit que la nourriture qu'elle reçoit du PAM est une bouée de sauvetage, ajoutant "que Dieu vous bénisse" au personnel de l'ONG pour qu'il soit à l'abri des "balles quand vous nous apportez de la nourriture".
Depuis octobre, le PAM a effectué plus de 60 distributions à Cité Soleil.
Jean-Martin Bauer, directeur du PAM pour Haïti, reconnaît qu'il s'agit d'un moment charnière, mais il n'est que trop conscient qu'il peut aussi être éphémère - les derniers chiffres de la norme mondiale de mesure de l'insécurité alimentaire (la classification intégrée de la phase alimentaire ou IPC) présentent une "victoire fragile", dit-il.
Un nombre record de 4,9 millions de personnes devraient souffrir de faim aiguë (IPC3 et plus) en Haïti, soit près de la moitié du pays, dont 1,8 million de personnes en phase "d'urgence" (IPC4).
"Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour apporter une aide alimentaire vitale à Cité Soleil", explique M. Bauer. "Mais nous savons tous que la situation reste fragile et, au début du mois, les tirs nous ont empêchés de faire notre important travail dans le quartier. Les combats doivent cesser, certes, mais il faut aussi que la nourriture arrive et pour cela, nous avons besoin de fonds".
"Nous avons besoin de 125 millions de dollars au cours des six prochains mois et nos donateurs ne sont tout simplement pas au rendez-vous", ajoute-t-il. "Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser cette crise alimentaire s'envenimer en cette période de fragilité politique et sécuritaire. Cette semaine encore, MSF [Médecins sans frontières] a fermé son hôpital à Cité Soleil et les combats ont repris.
La crise croissante a de graves répercussions sur la santé et la nutrition des enfants haïtiens, qui n'ont qu'un accès limité à des aliments nutritifs. Cela compromet leur développement à un âge précoce, ce qui peut entraîner des problèmes de santé tout au long de la vie.
L'inflation galopante et les prix démesurément élevés continuent d'aggraver la misère des Haïtiens, dont beaucoup n'ont pas les moyens de se payer un repas de base. Haïti fait partie des dix pays les plus touchés par l'inflation des prix des denrées alimentaires, selon la Banque mondiale. Huit personnes sur dix réduisent actuellement la taille et le nombre des repas principaux qu'elles consomment.
L'inflation s'élève actuellement à 47 pour cent, contre 38,7 pour cent en décembre. En janvier, le prix d'un panier alimentaire avait augmenté de 88 pour cent par rapport à l'année précédente, tandis que la gourde haïtienne avait baissé de 45 pour cent par rapport au dollar américain.
La pénurie persistante de produits pétroliers constitue un sérieux obstacle à l'activité économique, alors que l'économie devrait se contracter pour la cinquième année consécutive en 2023. Les pénuries de carburant ont un impact profond sur les soins de santé et l'assainissement, et limitent la logistique et le transport.
"Obtenir et conserver l'accès aux personnes dans le besoin à travers Haïti est un parcours du combattant avec les ressources limitées du PAM - nous avons désespérément besoin d'une augmentation du financement et de la volonté politique".
"Le monde ne peut pas attendre une grande catastrophe pour agir", déclare M. Bauer. "Haïti ne peut pas attendre - nous ne pouvons pas attendre que l'ampleur du problème soit exprimée en termes de décès pour que le monde réagisse, mais c'est ce vers quoi nous nous dirigeons."