Journée de l'aide humanitaire : dépêches d'Haïti et de la République démocratique du Congo

Haïti : « J'aimerais que plus de personnes puissent voir ce que je vois. »
Par Pedro Rodrigues, responsable de la communication au PAM
Il est 5 h 16 du matin, il fait encore nuit, lorsque mes collègues et moi montons dans un SUV blanc. Je ne me souviens pas de la dernière fois où j'ai pris la route à l'aube en Haïti. En raison de l'insécurité persistante, cela n'est possible qu'en dehors de la capitale. Aujourd'hui, nous partons donc de Caracol, une région du nord d'Haïti relativement épargnée par les violences qui touchent une grande partie du pays.
Le véhicule tout-terrain se fraie un chemin vers l'aéroport, le long de la route sombre qui relie Cap-Haïtien à la frontière dominicaine. À Port-au-Prince, où je suis basé, nous sommes en état d'alerte permanente en raison du niveau élevé d'insécurité. Mais il me semble inhabituel de baisser ma garde alors que je regarde les véhicules qui nous dépassent : des tap-taps (des camionnettes transformées en minibus) remplis de madan saras, ces femmes commerçantes qui se rendent au marché binational de Dajabón, en République dominicaine. Ce marché est étroitement contrôlé et un commerce informel y est pratiqué, permettant d'approvisionner les régions reculées en nourriture.
Alors que nous entrons dans Cap-Haïtien, le véhicule fait une embardée pour éviter quelque chose qui brûle sur la route. À Port-au-Prince, nous avons souvent croisé des corps dans les rues, appartenant à des membres présumés de groupes armés brûlés vifs par des brigades d’« autodéfense » locales qui recourent souvent à des tactiques barbares pour tenter de résister à la prise de contrôle de leurs quartiers. Mais cette fois, ma crainte est infondée : il ne s'agit que d'un tas d'ordures.
Nous poursuivons notre visite en nous rendant dans des associations d'agriculteurs et des écoles soutenues par le PAM, dans le nord du pays. Nous rentrons ensuite à bord de l'hélicoptère de l'UNHAS géré par le PAM, revigorés et encouragés par ce que les Haïtiens peuvent accomplir lorsqu'ils bénéficient d'un peu de paix.
Contrairement au nord, il faut évaluer chaque jour les risques liés à la distribution de nourriture à Port-au-Prince. Est-il suffisamment sûr de pénétrer dans les zones contrôlées par des groupes armés pour distribuer de la nourriture aux personnes âgées, aux mères, aux enfants et aux personnes handicapées, qui se trouvent dans une situation dont ils ne sont pas responsables ?
Parfois, la situation est trop instable pour que nos équipes puissent quitter le bureau. Mais la plupart du temps, mes collègues haïtiens et internationaux partent avec les camions chargés d'aide alimentaire vitale.
Animés par le sens du devoir, ils répondent à des besoins immenses.
À moins de deux heures de vol de Miami, Haïti est en proie à l'une des pires crises alimentaires au monde. Le dernier rapport du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) fait état d'une nouvelle détérioration de la situation. Plus de la moitié de la population haïtienne, soit près de 12 millions d'habitants, ne dispose pas d'une alimentation suffisante.
Cependant, malgré des ressources limitées, le PAM et ses partenaires ont su saisir toutes les occasions pour venir en aide aux plus démunis et éviter une situation encore plus grave.
Je souhaite seulement que davantage de personnes puissent voir ce que je vois. Oui, je vois la violence, la famine et la souffrance. Mais je vois aussi des agriculteurs qui cultivent leurs champs et emploient d'autres personnes. Je vois des commerçants dans les camps de déplacés, déterminés à relancer leurs activités. Je vois des mères qui trouvent le moyen d'envoyer leurs enfants à l'école.
Malgré tous les chocs, au milieu des larmes, de la frustration et des pertes, je vois de la résilience et une volonté de reconstruire. Si cela dépendait uniquement des Haïtiens ordinaires, le changement serait déjà en cours.
RDC : « Des coups de feu et des explosions à toute heure »
Par Ben Anguandia, responsable de la communication au PAM

Au début de l'année, les combattants du groupe armé M23, membre de l'Alliance de la rivière Congo, ont lancé une offensive de grande envergure dans tout le Nord-Kivu, dans l'est de la République démocratique du Congo.
Le 23 janvier, ils avaient encerclé Goma, la capitale provinciale. Quelques jours plus tard, la ville est tombée. Près d'un millier de personnes ont été tuées et de nombreuses autres ont été blessées. Des corps gisaient dans les rues tandis que le chaos régnait en maître.
Face à l'escalade de la violence et à la fuite de dizaines de milliers de civils, les agences de l'ONU, dont le Programme alimentaire mondial (PAM), ont commencé à évacuer leur personnel non essentiel. Les combats semblaient alors encore loin de Goma, où j'étais basé, mais en l'espace de deux jours, la situation a complètement changé. Un mercredi matin de janvier 2025, nous nous sommes réveillés pour découvrir que les rebelles étaient entrés dans la ville et que les soldats ainsi que les autorités avaient disparu.
Tous les soldats ne sont pas partis. Certains se sont sentis abandonnés par leur propre commandement. Ils ont alors retourné leurs armes contre les rebelles et la ville s'est soudain remplie de coups de feu. Les pillages ont commencé. Dans mon quartier, j'ai trouvé cinq armes abandonnées devant ma porte : des kalachnikovs, une mitrailleuse lourde, des uniformes et même des gilets pare-balles.
Les soldats avaient revêtu des vêtements civils et avaient pris la fuite. Les gens les suppliaient de ne pas laisser leurs armes derrière eux, de peur d'être accusés de les avoir cachées.
On nous a dit de rester chez nous. Pendant six jours, des coups de feu et des explosions ont retenti à toute heure (les deux premiers jours ont été les plus intenses, c'est à ce moment-là que les rebelles sont arrivés et que les combats ont éclaté). Les réserves de nourriture s'épuisaient. J'ai eu de la chance : j'élève des lapins, des pintades et des poulets, ce qui m'a permis de nourrir mes chiens et moi-même.
Tous les soldats ne sont pas partis. Certains se sont sentis abandonnés par leur propre commandement. Ils ont alors retourné leurs armes contre les rebelles et la ville s'est soudain remplie de coups de feu. Les pillages ont commencé. Dans mon quartier, j'ai trouvé cinq armes abandonnées devant ma porte : des kalachnikovs, une mitrailleuse lourde, des uniformes et même des gilets pare-balles.
Les soldats avaient revêtu des vêtements civils et avaient pris la fuite. Les gens les suppliaient de ne pas laisser leurs armes derrière eux, de peur d'être accusés de les avoir cachées.
On nous a dit de rester chez nous. Pendant six jours, des coups de feu et des explosions ont retenti à toute heure (les deux premiers jours ont été les plus intenses, c'est à ce moment-là que les rebelles sont arrivés et que les combats ont éclaté). Les réserves de nourriture s'épuisaient. J'ai eu de la chance : j'élève des lapins, des pintades et des poulets, ce qui m'a permis de nourrir mes chiens et moi-même.
Vendredi, la situation s'était calmée, même si les rues étaient encore jonchées de dépouilles non récupérées. Ce jour-là, j'ai quitté le pays en traversant la frontière rwandaise avec une foule désespérée. À l'intérieur du Rwanda, les routes étaient contrôlées et le prix du transport avait explosé. Il était évident que même dans notre fuite, nous étions la source de profits pour d'autres.
Lorsque j'ai atteint Kinshasa, j'ai compris que notre travail à Goma serait suspendu. Les camps de déplacés avaient été démantelés et les entrepôts du PAM avaient été pillés : 9 500 tonnes de nourriture avaient disparu. Les personnes que nous aidions avaient été dispersées et, avant de pouvoir reprendre nos activités, il fallait les localiser et évaluer leurs besoins.
Sans aide alimentaire, les femmes et les filles sont davantage exposées aux risques de violence fondée sur le genre, en particulier dans des conditions de surpeuplement, d'insécurité et d'absence d'installations sanitaires.
J'ai déjà vécu des conflits par le passé, en 1997, en 2002 et en 2004, mais cela ne devient jamais plus facile. C'est frustrant et humiliant de voir mon pays pris au piège du même cycle. Aujourd'hui, nous attendons, nous planifions et nous faisons ce que nous pouvons : de petites évaluations, la préparation de la reprise du soutien nutritionnel dans les hôpitaux. Mais le retour à la normale semble loin.
Le plus difficile est de savoir à quelle vitesse tout peut s'effondrer et combien de temps il faut pour reconstruire.