Sécurité alimentaire et COVID-19 : menace sur les ménages pastoraux au Mali
Un matin de juin, mes collègues et moi quittons les rives du fleuve Sénégal et le fourmillement matinal de la ville de Kayes en direction d'un petit village, situé à une soixantaine de kilomètres au nord-est. Sur une route mêlant asphalte, nids de poules et portions de piste en terre, nous observons un paysage rocailleux et poussiéreux en cette fin de saison sèche. Entre de petit massif montagneux, des plaines s'étendent à perte de vue et sont parsemées de baobab qui semblent observer silencieusement le balai incessant des chauffeurs de minibus dont le chargement sur le toit double aisément la hauteur du véhicule.
Après plus d'une heure de route, nous arrivons au village de Kandia, habituellement bordé par un bras du lac Magui. Peu après notre arrivée sur place, nous rencontrons Amadou Diallo, un père de famille qui élève une centaine de bovins, caprins et ovins pour subvenir aux besoins de son foyer. En pleine période de soudure pastorale, il est confronté à de nombreux défis qui menacent la pérennité de son troupeau et la survie de sa famille.
Manque de pâturage et carence d'aliments du bétail
En période d'hivernage, les animaux sont en pâturage dans les plaines environnantes. Mais en cette saison sèche, Amadou doit acheter des aliments sur le marché pour assurer la survie de son troupeau et garantir une production minimale de lait pour ses enfants. Pourtant, depuis la survenue de la crise sanitaire actuelle, ces aliments de bétail deviennent de plus en plus rares sur le marché forçant Amadou à dépenser plus d'argent que d'habitude pour s'en procurer.
"Je dois vendre une partie du bétail pour acheter de l'aliment et assurer la survie du reste du troupeau. Cette année, j'ai dû vendre une dizaine de bœufs, c'est plus que d'habitude", confie l'éleveur.
Et Amadou n'est pas le seul dans cette situation. D'après le bulletin mensuel de suivi de l'impact de la COVID-19 sur les marchés pastoraux et agropastoraux (Mai 2020), 79% des éleveurs mentionnent la carence en intrants alimentaires de bétail sur les marchés locaux.
"Je dois vendre une partie du bétail pour acheter de l'aliment et assurer la survie du reste du troupeau. Cette année, j'ai dû vendre une dizaine de bœufs, c'est plus que d'habitude."
Baisse de revenus et érosion des moyens d'existence
Chaque année, Amadou vend habituellement 5 animaux pour couvrir les besoins en aliment de son troupeau et une partie des besoins de sa famille. Il déplore qu'en raison des conditions climatiques difficile — la région de Kayes est à juste titre surnommée par certains "la cocotte minute" du fait de son climat — il n'a enregistré aucune nouvelle naissance depuis l'hivernage.
Une dernière saison des pluies timide couplée à la fermeture des frontières en raison de la COVID-19 a fortement perturbé le commerce transfrontalier et surtout le marché à bétail. Le prix du tourteaux (aliment à bétail) a augmenté alors que le prix de vente du cheptel à fortement chuté.
"L'année dernière, je vendais un bœuf à 150 000 Francs, aujourd'hui le prix de vente est bien plus bas, 75 000 Francs seulement. Les commerçants mauritaniens et sénégalais qui venaient acheter les animaux chez nous ne peuvent plus traverser la frontière", nous révèle Amadou.
Face aux difficultés qu'ils rencontrent, de nombreux éleveurs ont développé des stratégies dites de stress consistant à augmenter la vente des animaux, emprunter de l'argent, vendre des biens domestiques, dépenser l'épargne. Cette augmentation de la vente du bétail s'explique par la nécessité pour les familles d'acheter des denrées alimentaires pour leur propre consommation et assurer en même temps la survie du troupeau.
Malick, le frère aîné d'Amadou me confie également son désarroi : "Les bêtes souffrent, ce n'est pas bon. Nous sommes obligés de les mettre à l'abris de la chaleur. Sans aliment, elles risquent de mourir. Et si elles meurent, nos familles n'auront plus de ressources".
En vue de répondre aux besoins alimentaires de base et protéger les moyens de subsistance des plus vulnérables, le Programme alimentaire mondial des nations unies (PAM) et son partenaire, l'Association d'Appui aux Actions de Développement Rural (ADR) organisent des distributions d'assistance alimentaire. Pendant trois mois (avril, mai et juin) une centaine familles vulnérables de Kandia ont reçu des transferts d'argent en espèces leur permettant de choisir librement les denrées alimentaires sur le marché local.
Peu après avoir reçu l'assistance, nous suivons Amadou qui s'empresse d'aller acheter du maïs pour sa femme et ses 10 enfants. Une association formée par des jeunes du village achète sur le marché de Kayes, puis stock quelques centaines de kilos de vivres dans un petit local. Cette initiative permet à l'ensemble des habitants du village d'acheter immédiatement de la nourriture sans avoir la contrainte d'aller en ville.
« Avec cette aide du PAM, je viens d'acheter de quoi nourrir ma famille pendant plusieurs semaines. » Conclut-il.
Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies a lancé en juillet 2020 une intervention alimentaire et nutritionnelle à grande échelle pour venir en aide à près d'un million de personnes dans les régions du nord et du centre du Mali.
L'assistance fournie en partenariat avec le gouvernement du Mali, en partenariat avec le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) et des ONG partenaires, soutiendra le Plan national de réponse, de juin à août — les période de soudure — lorsque les stocks sont faibles entre les récoltes et que les familles peinent à survivre avec peu de nourriture. Les familles recevront des bons pour acheter leurs produits alimentaires préférés sur les marchés locaux.
Les effets cumulatifs des sécheresses fréquentes, des conflits armés, de la violence inter-communautaire, de l'insécurité généralisée, des déplacements de population et de la crise sanitaire actuelle du COVID-19 ont affecté négativement la situation alimentaire et nutritionnelle d'environ 5 millions de personnes au Mali. Cela comprend 2,4 million d'hommes, de femmes et d'enfants qui ne sont pas en mesure de répondre à leurs besoins alimentaires et nutritionnels de base et ont besoin d'une aide alimentaire d'urgence selon les dernières alertes du système d'alerte précoce dirigé par le gouvernement.
Ces interventions sont possibles grâce à l'appui de l'Allemagne, de la Banque Mondiale, du Canada, de l'Espagne, des Etats-Unis d'Amérique, de la France, du Japon, du Luxembourg, du Mali, de la Norvège, du Royaume-Uni, de la Suède, de la Suisse et de l'Union européenne.