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Prête à tout : Dans l’ouest du Darfour, une femme illustre la persévérance

Huda Abouh Mohamed Ali du PAM se souvient des risques de l’humanitaire dans des conditions difficiles.
, WFP (PAM)

Huda Abouh Mohamed Ali du PAM se souvient des risques de l'humanitaire dans des conditions difficiles.

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Camp de personnes déplacées de Kreinik, ouest du Darfour : Huda Abouh, membre du personnel du PAM (à gauche), est très populaire, en particulier auprès des femmes participant au programme. Photo : PAM/Isadora D'Aimmo

Huda Abouh Mohamed Ali a rejoint le PAM en 2004 dans l'ouest du Darfour, où elle est actuellement responsable terrain et spécialiste sur les questions de genre. Dans les questions-réponses ci-dessous, à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, elle raconte les expériences éprouvantes qu'elle a connu et qui la rendent encore plus déterminée à servir le PAM au Soudan.

Pouvez-vous nous parler un peu de vous ?

Je suis née en 1971 à Mornei, dans l'ouest du Darfour, et je suis la quatrième enfant d'une famille de dix. Ma mère était la deuxième femme de mon père — il a eu 18 autres enfants avec deux autres femmes. La plupart des membres de ma famille vivent encore ensemble dans le village et coexistent harmonieusement, tandis que je me suis installée avec mon mari et mes trois enfants à Geneina. Je suis fière de la famille que j'ai créée pour mes trois garçons de 13, 11 et 8 ans. Bien que leur père puisse opter pour la polygamie, il ne prendra jamais une seconde femme.

À quel point le travail sur le terrain est-il délicat ?

Les défis sont en grande partie pratiques : des problèmes liés à l'accessibilité et au mauvais état des routes, en particulier pendant la saison des pluies, où l'acheminement de l'aide alimentaire peut devenir dangereux. La situation sécuritaire est instable dans la région. J'ai été témoin, à plusieurs reprises, d'agressions de collègues pour leur voler leur voiture.

« Des criminels armés ont tenté d'entrer par effraction dans ma maison. J'ai réussi à appuyer sur le bouton rouge du combiné radio du PAM et j'ai appelé les secours d'urgence. »

Par exemple, en 2005, un chauffeur de service a été chargé de livrer des médicaments à un collègue qui avait contracté le paludisme. Alors qu'il tentait d'effectuer cette livraison vitale, il a été victime d'un car-jacking et abandonné au milieu de nulle part. Il a tant bien que mal réussi à retourner au bureau tard dans la nuit. La même année, deux collègues ont été attaqués de la même manière lors d'une visite de contrôle à Mornei.

Ces situations étaient-elles courantes ?

En 2006, quatre collègues étaient en train de regagner leur voiture à la suite d'une réunion communautaire dans le camp de Dorti à Geneina, lorsque plusieurs hommes ont sauté dans la voiture, les ont forcés à s'asseoir à l'arrière et ont conduit sur plusieurs kilomètres. Dans ce cas précis, le PAM a immédiatement lancé des recherches par hélicoptère et les a trouvés sur la route : la voiture avait été détruite suite à un accident, mais il n'y avait aucun signe des voleurs.

En 2010, les collègues et l'équipage d'un vol du PAM à destination du camp de réfugiés d'Umshalaya ont été attaqués et des passagers ont été battus et volés. Le pilote a également été enlevé et secouru plus d'un mois plus tard.

Y a-t-il des incidents qui vous ont personnellement touché ?

En août 2010, notre véhicule d'escorte s'est retourné en raison du mauvais état des routes, et pendant que des collègues tentaient d'extraire des passagers, j'ai cherché de l'aide dans les champs environnants. J'ai pleuré si fort que j'ai saigné : la cicatrice de ma césarienne effectuée deux ans auparavant s'est ouverte et j'ai commencé à saigner. J'ai ensuite été évacuée vers Geneina et Khartoum pour recevoir une assistance médicale.

Le 24 août 2013, quatre Casques bleus du Burkina Faso membres de notre MINUAD (Opération hybride de l'Union Africaine et des Nations Unies au Darfour) ont été emportés par les inondations alors que nous traversions le Wadi Noro. Nos collègues sont morts devant nous ce jour-là. À la suite de ces événements traumatisants, j'ai développé une dépression et des problèmes cardiaques et j'ai lutté pour me reprendre en main.

"Je vois des femmes enceintes accoucher dans des espaces ouverts, n'ayant rien pour envelopper leur bébé une fois qu'il est né."

Environ six mois plus tard, en février 2014, j'étais à un séminaire lorsque des pluies abondantes et inattendues ont commencé à tomber et m'ont rappelé les souvenirs douloureux de cette journée. Submergée par l'émotion, je me suis effondrée. J'ai été hospitalisée en Jordanie pour une chirurgie cardiaque, et je me suis lentement rétablie… mais je n'oublierai jamais. C'est la communauté du PAM qui contribue vraiment à rester motivé et à poursuivre les activités. Mes collègues m'ont littéralement sauvée. En 2005, des criminels armés ont tenté d'entrer par effraction dans ma maison. J'ai réussi à appuyer sur le bouton rouge du combiné radio du PAM et j'ai appelé en urgence des collègues.

En décembre 2010, alors que je me faisais harceler physiquement, un collègue courageux m'a sauvée d'un viol : j'étais à Masteree pour un suivi post-distribution de compléments nutritionnels en train d'interroger les femmes sur la consommation et l'utilisation de la nourriture du PAM.

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Houda, à gauche, supervisant la distribution d'espèces du PAM à Kreinik, qui vise 13 330 bénéficiaires avec une aide alimentaire en espèces et en nature. Photo : PAM/Isadora D'Aimmo

Un homme est arrivé, a pris tous mes appareils de communication, comme mon téléphone portable et satellite, mon appareil photo et ma radio, puis il m'a battue en criant que je travaillais contre mon pays et que j'étais une prostituée qui servait les Khawaja (les étrangers). Il m'a forcée à marcher vers l'auberge tenue par nos partenaires. Elle était vide, puisque tout le personnel était occupé sur le site de distribution. Une fois à l'entrée, j'ai réalisé qu'il allait me pousser à l'intérieur. J'ai commencé à crier pour attirer l'attention. Un membre du personnel est arrivé et m'a sauvé. Tout cela a duré au moins trois heures, donc quand notre hélicoptère est arrivé, l'équipage ne m'a pas trouvée et a commencé à me chercher jusqu'à ce que je puisse enfin retourner à Geneina. Le lendemain, l'incident dans le camp de réfugiés d'Umshalaya s'est produit.

Vous restez engagée dans votre travail humanitaire

J'adore mon travail. Je n'ai jamais songé à cesser de travailler en raison de difficultés. En tant que responsable terrain, je vois les problèmes auxquels les bénéficiaires font face. Cela m'aide à tout mettre en perspective, à comprendre qu'avec tous les obstacles, je suis une femme privilégiée, dont les moments difficiles ne sont rien à côté des leurs, et que je dois continuer à les servir. Mis à part les mauvais jours, les bons moments sont extrêmement gratifiants, surtout quand je vois le bonheur que mon organisation apporte à la population du Darfour.

L'une de vos principales motivations est l'autonomisation des femmes.

Les questions de genre ont toujours été ma passion. J'ai lu des études sur l'égalité des sexes en 2002, avant la longue guerre qui a éclaté en 2004, et j'ai obtenu ma maîtrise en avril 2014 à l'Université Ahfad pour femmes à Khartoum. Mon objectif était de contribuer à un changement positif dans ma communauté, et maintenant que je travaille réellement sur l'égalité entre hommes et femmes au sein d'une organisation de l'ONU, je me sens privilégiée parce que j'ai une opportunité en or — ce que je rêvais de faire en tant qu'étudiante est devenu une réalité.

Ce qui me frappe le plus, c'est quand je vois des femmes enceintes accoucher dans des espaces ouverts, n'ayant rien pour envelopper leur bébé une fois qu'il est né. Une fois, j'ai offert mon voile que j'utilise pour me couvrir la tête, en tant que femme musulmane. Je suis également frappée par les enfants qui pleurent de faim, les petites filles violées parfois par plus d'un homme, ainsi que par la préparation des corps de ceux qui sont décédés, qui est effectuée dans des espaces ouverts. Cependant, je vois toujours de l'espoir. Par exemple, à Ardamata, nous avons trouvé une fillette de 13 ans qui est tombée enceinte après avoir été violée par trois hommes. Elle bénéficie actuellement d'une aide dans le cadre du programme « Assistance alimentaire contre biens communautaires » du PAM.

Quels sont vos espoirs pour le Soudan ?

Je rêve de stabilité au Soudan, d'une économie stable et de sécurité à tous les niveaux. J'espère que cela suffira à apporter la paix entre toutes les tribus. Je souhaite de bonnes opportunités pour tous les Soudanais, en particulier en termes d'éducation et d'emploi avec des salaires appropriés. J'espère que les enfants du Soudan ne redeviendront jamais des enfants soldats, n'abandonneront plus jamais l'école et n'auront plus jamais à souffrir de l'angoisse de la faim. J'espère voir l'éducation au sommet de nos priorités et que le rôle crucial des femmes dans la consolidation de la paix soit toujours reconnu et soutenu, car les femmes sont les principales actrices du changement, dans leurs propres familles et dans la communauté.

Et pour vous ?

Personnellement, je veux que mes enfants soient bien éduqués, qu'ils aient la possibilité de faire une différence et de contribuer au développement et à la paix au Soudan.

Avez-vous des conseils pour les personnes qui veulent travailler dans l'humanitaire ?

Commencez à faire du bénévolat dans votre communauté et acceptez les occasions qui vous sont offertes d'aider et d'apporter des changements positifs. Lorsque vous deviendrez un humanitaire, votre vie entière en sera affectée. Vous devez vous assurer de ce que vous voulez vraiment. Plus important encore, la clé pour apprendre et comprendre ce domaine est l'expérience elle-même ; la meilleure université pour les humanitaires est la vie.

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