'Nous ne pouvons mourir qu’une seule fois, alors de quoi avoir peur ?' Au Soudan, ravagé par la guerre, les humanitaires persévèrent pour lutter contre la famine
Le petit Ahmed n’a pas mangé un bon repas depuis des jours. Il a de la chance quand il a quelque chose à manger. Comme beaucoup dans le camp de personnes déplacées internes de Zamzam – l’une des nombreuses régions du Soudan où la famine a été confirmée en 2024 – il survit grâce aux restes de pâte issue de la production d’huile d’arachide.
Ahmed et ses trois frères et sœurs sont orphelins et doivent se débrouiller seuls après avoir perdu leurs parents dans la guerre au Soudan. Les affres de la faim, la peur de la violence et la lutte pour la survie sont devenues la norme pour eux depuis le début du conflit, il y a près de deux ans.
Mais l’espoir roule vers lui à des centaines de kilomètres. Jamal, un agent de sécurité du Programme alimentaire mondial (PAM), dirige un convoi de camions d'aide vers Zamzam depuis Adré au Tchad, à travers les lignes de front dans le Darfour déchiré par la guerre. Jamal accompagne des chauffeurs déterminés à porter assistance à leurs compatriotes, malgré le risque pour leur propre vie. C'est un exploit que le PAM n'a pas réalisé depuis avril, après que le conflit, l'insécurité et les pluies ont privé Zamzam de son aide pendant plusieurs mois.
"J’étais prêt à partir et j’étais excité. J'étais plein d'intention et de dévouement pour apporter du soutien à mon peuple là-bas", explique Jamal.
Il faut quelques jours pour obtenir les autorisations nécessaires afin de garantir un passage sûr depuis Geneina, la capitale du Darfour occidental. Avec les documents d'approbation en main, Jamal, une équipe de chauffeurs et 15 camions du PAM entament leur long voyage vers les personnes menacées par la famine.
Des points de contrôle parsèment chaque étape, avec plus de 40 arrêts sur le tronçon de 500 km. Jamal et l'équipe rencontrent des hommes armés sans aucun moyen de pression, à l'exception d'un morceau de papier signé et tamponné et de leur cargaison humanitaire vitale. Jamal affirme que le document aide à convaincre les hommes armés de les laisser passer en toute sécurité.
Il n’y a pas de temps pour avoir peur. "Nous sommes habitués à gérer cela", explique Jamal. "À tout moment, nous pourrions être abattus, kidnappés, battus ou tués. Mais on ne peut mourir qu’une fois, alors de quoi avoir peur ?"
Pendant deux semaines éreintantes, l’équipage avance, à travers des chemins de terre sinueux, des montagnes et des terrains accidentés, traversant des zones reculées qui semblent être un no man’s land où des hommes armés peuvent sortir de la brousse à tout moment.
Ils dorment partout où ils trouvent un endroit où se loger et mangent ce qui leur est proposé, en comptant sur la générosité des collègues ou des communautés qu’ils rencontrent en chemin. Parfois, ils doivent dormir dehors.
Un camion tombe en panne à Zalingei, dans le Darfour central, à peu près à mi-chemin sur un terrain accidenté. Une pièce de rechange – qui mettra des jours à arriver du Tchad – est nécessaire pour que le camion soit réparé et que le convoi puisse continuer.
Finalement, les véhicules entament leur dernière ligne droite depuis Tawila, au Darfour Nord, à travers la savane. Alors que les premiers camions depuis plusieurs mois arrivent à Zamzam en novembre, Jamal demande aux chauffeurs de ralentir. Les foules se rassemblent et applaudissent. Les femmes hululent.
Les gens sourient. L’aide est enfin arrivée et, avec elle, l’espoir que le monde ne les a pas oubliés.
"C’était déchirant de voir des gens pleurer de désespoir ou de maladie à cause du manque de nourriture – en particulier des femmes et des enfants", se souvient Jamal.
Ahmed et ses frères et sœurs faisaient partie des personnes rencontrées par l'équipe du PAM. Comme pour des milliers d’enfants de Zamzam, les nuages sombres de ce conflit jettent une ombre sur leur avenir. Les horreurs de la guerre et de la famine leur sont devenues familières, mais le chef du convoi, Jamal, est déterminé à inverser la tendance.
"Je me sentais fier d'avoir réussi et d'avoir la chance d'aider mon peuple. Cela m’a motivé à faire encore plus et je suis à nouveau prêt à risquer ma vie pour les aider", déclare Jamal.
Au cours des derniers mois, 130 000 personnes à Zamzam ont reçu le soutien du PAM – via des bons qu'elles peuvent échanger sur le marché local et maintenant, enfin, la livraison directe de colis d'urgence du PAM contenant un approvisionnement mensuel en céréales, légumineuses, huile et sel.
On ne saurait trop insister sur l’importance de commencer à ouvrir une route régulière permettant aux humanitaires d’acheminer en toute sécurité de l’aide vers le camp frappé par la famine. Jamal effectue actuellement le long voyage d'Adre à Zamzam avec un autre convoi d'aide alimentaire – un élément essentiel pour acheminer un flux constant d'aide et inverser la tendance de la famine. Contre toute attente, il est déterminé à donner la priorité à son peuple.