Mauritanie : les repas scolaires menacés dans le camp de Mbera
"Ma mère me dit que le prix de la nourriture augmente"
"Je sais que mes parents ont eu peur à ce moment-là quand on a quitté le Mali". C’est ce sentiment que les parents d’Aicha, 10 ans, lui ont transmis en témoignage lorsqu’elle arrivait au camp de Mbera à l’âge de deux ans. Leurs enfants sous le bras, les parents d’Aicha ont fui en 2013 la région de Ségou dans le cercle du Niono au centre du Mali, à cause d’attaques meurtrières. Depuis, cette zone connait une inquiétante dégradation de la situation sécuritaire qui a fait disparaître tout espoir d’un retour possible.
Aujourd’hui Aicha vit à, Mbera le plus grand camp de réfugiés maliens au Sahel avec plus de 65 000 personnes. Malgré la sécurité retrouvée, la situation se détériore sur le plan économique, entraînant des répercussions sur la famille d’Aicha et son accès aux aliments de base.
"Depuis le COVID-19, ma mère me dit que le prix de la nourriture augmente et qu’ils achètent moins de produits. Moi-même je le vois dans l’assiette. Avant je mangeais deux repas avec mes parents et mes sœurs, aujourd’hui plus qu’un”, confie Aicha.
Cette tendance s’est confirmée dans la dernière enquête du PAM sur les prix du marché en janvier 2022, qui fait état d’une hausse du prix du bétail et des produits alimentaires de base. Cela est principalement due à l’inflation généralisée sur les marchés internationaux, dont la Mauritanie est largement dépendante (environ 70%). Pour ne citer que quelques exemples, le prix de l’huile a augmenté de 66%, le sucre de 45% et le blé de 46%.
"On mange moins c’est certain. Chaque goute d’huile et morceau de sucre compte", avoue la mère d’Aicha, Nahala.
Plus que la Mauritanie, c’est toute la région du Sahel qui est confrontée à une crise alimentaire qui ne cesse de s’aggraver, mettant les aliments essentiels de base hors de portée de millions de personnes. Et la pauvreté a augmenté de 3% pendant la COVID-19 et la région connait des conditions critiques de sécheresse, impactant la production agricole, principale source alimentaire et de revenus dans le Sahel.
Malgré la situation actuelle, Aicha n’abandonne pas ses ambitions. Avec ses amies de classe Maya (8 ans) et Zahra (9 ans), elles rêvent de devenir médecin, sage-femme ou encore enseignante, pour « soigner », « aider », « donner une éducation de qualité » à leur communauté.
"Aujourd’hui, le seul moyen pour moi d’avoir un repas en plus c’est la cantine" nous dit Aicha.
Un repas qui fait la différence pour elle, ses amies et leurs parents, qui n’ont aujourd’hui plus les moyens d’assurer ces besoins et de maintenir leurs enfants en bonne santé. Les repas scolaires encouragent les parents à envoyer leurs enfants à l’école.
Depuis 2017, le PAM sert chaque matin aux 6 000 élèves de l’école primaire du camp une bouillie : un apport nutritionnel et énergétique pour les élèves.
Depuis le début des repas scolaires, une amélioration de 130% du taux de scolarisation a été observé au niveau du camp de Mbera. Un levier concret pour l’éducation et pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle des enfants. Aicha qui n’avait pas l’habitude de prendre de petit déjeuner le matin nous raconte, "la bouillie du matin me permet de rester concentrée toute la journée et me permet d’apprendre plus vite : je me sens forte et en bonne santé. En plus, j’adore les calculs pour lesquels il faut être concentrée et rapide !"
Des propos confirmés par le professeur qui témoigne aussi d’un changement. "Je les sens (les enfants) moins fatigués, plus concentrés et ça permet d’avoir une bonne dynamique dans la classe."
Toutefois, la situation pourrait drastiquement changer d’ici quelques mois. Par manque de financement, le PAM ne pourra plus fournir de repas scolaires, ce qui aura un impact dévastateur sur la santé et l’avenir des enfants du camp, toujours plus nombreux en raison de l’arrivée de nouveaux réfugiés.
Le programme d’alimentation scolaire auprès des populations mauritaniennes est également concerné, avec 50 000 enfants qui seront privés de repas scolaires. Actuellement au Sahel, plus de 10,5 millions de personnes sont confrontées à une crise alimentaire, soit une augmentation de plus de 60% depuis 2019.