'Nourrir des millions de personnes' : comment la restauration des terres peut changer la situation au Sahel
Chaque année, lorsque les premières pluies tombent sur les terres arides de Mauritanie, le cœur de Djeinaba Ba bat de fierté. Elle a un lien profond avec l’agriculture dans son village de Gvava Peulh, situé dans la région d’Assaba, au sud-est du pays.
"Ce que j'aime dans ce village, c'est l'agriculture", explique Ba, veuve et mère de trois enfants. "C’est la seule activité que nous connaissons et qui nous aide à répondre aux besoins de nos familles."
Ba a grandi en aidant ses parents à défricher leurs champs, à semer des graines, à récolter et à rassembler du fourrage pour nourrir leur bétail. Aujourd’hui, elle dirige une coopérative locale de femmes. L’agriculture a été une bouée de sauvetage dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, aidant des familles entières à survivre et parfois à prospérer pendant des décennies.
Les sécheresses récurrentes, la déforestation et la dégradation des terres menacent gravement la productivité agricole de millions d’agriculteurs, à l’instar de cette dernière. Actuellement, plus d’un quart de la population mauritanienne se trouve exposé à la dégradation des terres, qui affecte 60 pour cent du territoire national.
Ces enjeux occupent désormais une place centrale dans une réunion cruciale sur la désertification en Arabie Saoudite. Rassemblant des représentants de dizaines de pays, la Conférence des Parties à Riyad (COP 16) a pour objectif de lutter contre la sécheresse et de protéger ainsi que restaurer environ 1,5 milliard d'hectares de terres dégradées d’ici la fin de cette décennie.
Les lignes de front de la lutte contre la désertification se situent dans des pays comme la Mauritanie, où le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies soutient le gouvernement à travers un programme ambitieux visant à restaurer les terres dégradées par les sécheresses et autres aléas climatiques. Cet effort fait partie d'un programme plus large de renforcement de la résilience lancé en 2018 avec des partenaires de cinq pays d'Afrique de l'Ouest et centrale, qui comprennent également le Burkina Faso, le Tchad, le Mali et le Niger.
À ce jour, l'initiative a bénéficié à 4 millions de personnes dans 3 400 villages de la région et a permis de restaurer plus de 300 000 hectares de terres dégradées. Elle associe la gestion des bassins versants et la réhabilitation des terres à des programmes de repas scolaires, tout en offrant un soutien nutritionnel aux femmes et aux jeunes enfants. De plus, elle soutient les petits exploitants agricoles et renforce les capacités des communautés pour maintenir et améliorer la sécurité alimentaire face aux chocs récurrents.
“Land rehabilitation in the Sahel is key for the food security of millions of people, as it rebuilds ecosystems and livelihoods, reduces humanitarian needs and enables the region to transition to a sustainable, food security pathway,” says Margot van der Velden, WFP Regional Director for Western Africa,
Les efforts de renforcement de la résilience contribuent également à l’ambitieux projet africain de Grande Muraille Verte, qui vise à restaurer les paysages dégradés, à lutter contre la désertification et à stimuler les économies du Sahel d’ici 2030.
"La réhabilitation des terres au Sahel est cruciale pour la sécurité alimentaire de millions de personnes, car elle restaure les écosystèmes et les moyens de subsistance, réduit les besoins humanitaires et ouvre la voie à une sécurité alimentaire durable pour la région", déclare Margot van der Velden, directrice régionale du PAM pour l'Afrique de l'Ouest.
"En luttant contre la dégradation des terres, nous donnons aux communautés rurales les moyens de produire des aliments de manière durable", ajoute van der Velden. "Nous créons une bouée de sauvetage contre les chocs climatiques comme les sécheresses et les inondations, et construisons un environnement plus vert et plus sain pour les millions de personnes dont la sécurité alimentaire serait sinon menacée."
De nouveau fertile
En Mauritanie, au bord de l’océan Atlantique, l’élévation du niveau de la mer et d’autres chocs comme les sécheresses ont alimenté une faim aiguë qui touche environ un cinquième de la population chaque année. Pour les agriculteurs chevronnés comme Ba, les conséquences sont sans appel.
"Le sol est devenu moins fertile", dit-elle. "Nos récoltes suffisent à peine à répondre à nos besoins fondamentaux."
Vint ensuite le programme de résilience du PAM, déployé il y a quatre ans dans des centaines de villages mauritaniens comme Gvava Peulh. Il utilise des pratiques foncières réparatrices et régénératrices, et des techniques innovantes de gestion de l’eau telles que des demi-lunes et des digues, pour reconstituer les sols et les aquifères appauvris en eau.
"Depuis l'arrivée du PAM, nous avons observé des changements notables ; les terres dégradées sont redevenues fertiles", dit Ba.
Les résultats du programme sont remarquables. Les ménages participants voient leurs récoltes doubler, voire tripler, pour chaque hectare de terre réhabilitée, ce qui se traduit, en moyenne, par au moins un mois supplémentaire de sécurité alimentaire.
"Je suis très heureux de constater comment la résilience se traduit concrètement sur le terrain, apportant des résultats tangibles pour les ménages et les communautés extrêmement vulnérables", déclare Reinhard Uhlig, chef de mission adjoint à l'ambassade d'Allemagne en Mauritanie, qui soutient financièrement l'initiative. "Nous espérons voir ces efforts conjoints se renforcer à l'avenir."
En Mauritanie et au Tchad voisin, le programme de résilience du PAM va au-delà du renforcement de la sécurité alimentaire et des moyens de subsistance durables. Il favorise la gestion environnementale, renforce la cohésion sociale et améliore l’accès aux marchés ainsi qu'aux services sociaux de base. De plus, Il soutient également l'éducation, en s'approvisionnant auprès des agriculteurs participants pour les repas scolaires soutenus par le PAM.
Cela peut également réduire la migration, en offrant aux agriculteurs ruraux – souvent des hommes chefs de famille – de puissantes raisons financières de rester chez eux. Cela libère du temps pour que les femmes puissent se consacrer à d’autres activités, notamment acquérir d’autres compétences génératrices de revenus.
"Avant, mon mari devait nous quitter pendant la saison sèche pour chercher des opportunités d'emploi dans les zones urbaines", explique Amsinine Radiane, mère de neuf enfants, qui participe à un projet de renforcement de la résilience du PAM à Doungoulou, au centre du Tchad.
Depuis, elle a vu sa récolte de mil presque sextuplé grâce au projet, qui a non seulement restauré les terres agricoles dégradées, mais a également introduit des systèmes d'irrigation qui permettent aux agriculteurs de planter des jardins maraîchers toute l'année. Le mari de Radiane ne part plus chercher du travail ailleurs.
"Nous avons largement assez pour nourrir nos enfants », dit-elle, « et je peux en stocker une partie pour passer la période de soudure."
Le programme intégré de résilience du PAM en Afrique de l’Ouest est soutenu par le Canada, le Tchad (par l’intermédiaire de la Banque mondiale), le Danemark, l’Union européenne, la France, l’Allemagne, le Luxembourg, Monaco, la République de Corée, l’Espagne et les États-Unis.