“Le coronavirus emporte tout sur son passage” : La faim s’empare des villes du Zimbabwe
Par Claire Nevill
Par une froide matinée d'hiver en juin, je rends visite à Oppah Kanongara, chez elle, à Hopley : une banlieue chaotique du sud-ouest de Harare, la capitale du Zimbabwe. Alors que nous nous asseyons pour discuter, à un mètre de distance et en portant nos masques, elle enveloppe sa fille d'un an, Makanaka, dans une couverture en laine polaire.
"J'ai été poursuivie, avec mon bébé sur le dos, dans la rue par des soldats, qui nettoyaient les rues", dit-elle, décrivant le premier jour du confinement au Zimbabwe, le 30 mars. "J'ai dû laisser derrière moi tous les produits que j'avais à vendre."
Du jour au lendemain, cette mère qui élève seule ses trois enfants a vu s'évaporer l'ensemble de ses revenus, issus de la vente de serviettes, de chaussettes et de sucettes glacées. "Je ne savais pas comment je pourrais nourrir ma famille le lendemain", dit-elle.
Selon les projections du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies, le nombre de personnes souffrant d'insécurité alimentaire au Zimbabwe augmentera de près de 50 % pour atteindre 8,6 millions de personnes d'ici janvier 2021, soit 60 % de la population.
Aujourd'hui, le seul revenu d'Oppah est un transfert mensuel en espèces de 48 dollars du PAM : 12 dollars pour chacun des quatre membres de la famille, permettant de couvrir deux tiers de leurs besoins alimentaires.
"La situation n'a jamais été aussi mauvaise et elle pourrait s'empirer", déclare Niels Balzer, Directeur Pays par intérim du PAM pour le Zimbabwe. "Notre programme urbain adaptable, mis en œuvre en étroite coordination avec le gouvernement, vient actuellement en aide aux familles les plus démunies."
Des métropoles comme Harare sont les premières à souffrir actuellement de l'augmentation de la faim aiguë. Elles sont également au cœur du nouvel épicentre de la pandémie de coronavirus. Ces villes représentent environ 90 % des cas de COVID-19 : des millions de personnes dans le monde entier, selon un rapport des Nations unies publié le 28 juillet.
"Le coronavirus emporte tout sur son passage", affirme Oppah. "Je n'ai donc plus rien à vendre. Alors je reste chez moi, en attendant le transfert en espèces du PAM. Cette communauté n'est pas à l'abri de la COVID-19. Nos enfants, qui jouent dehors, y sont exposés. Ils mangent et boivent tout ce qu'ils trouvent."
Oppah ajoute : "Il n'y a qu'une seule clinique dans la région. Pour être soigné, il faut d'abord payer. Je ne peux pas me le permettre."
En raison de l'hyperinflation, de nombreuses familles ne parviennent plus à se procurer les aliments de base. Le prix du maïs, la céréale de base, a plus que doublé au cours du mois de juin.
Le coronavirus a également privé de nombreux Zimbabwéens de la possibilité de gagner leur vie. Trois quarts de la main-d'œuvre urbaine du pays, principalement des femmes commerçantes, sont désormais sans emploi. Le nombre de personnes souffrant d'insécurité alimentaire dans les zones urbaines devrait passer de 2,2 millions à 3,3 millions.
L'allocation mensuelle en espèces du PAM a été portée de 9 à 12 dollars en juillet pour compenser la hausse rapide des prix des denrées alimentaires.
"Je fais habituellement du porridge pour les enfants le matin", dit Oppah. "Au déjeuner, nous prenons du riz avec de la soupe, et du thé. Et le soir, de la sadza (farine de maïs) avec du boeuf ou du kapenta (poisson séché)."
"Mais il se peut que nous devions sauter des repas, dans les mois à venir", dit-elle en coupant du chou frisé frais dans son petit jardin.
Prosper Jongwe, un commerçant de Hopley, déclare que bien qu'il ne soit pas un bénéficiaire direct des transferts mensuels en espèces du PAM — l'un des nombreux programmes gérés par le PAM pour venir en aide au demi-million de personnes durement touchées dans les villes du Zimbabwe — ces derniers aident son entreprise à survivre au confinement. "Sinon, nous aurions très peu de clients", dit-il. "La plupart d'entre eux sont au chômage et ne peuvent pas dépenser beaucoup".
Pourtant, les fonds alloués aux opérations urbaines du PAM — et aux autres programmes qui soutiennent des millions de Zimbabwéens affamés dans les zones rurales — viennent à manquer.
Pour Oppah et ses enfants, qui n'ont nulle part où aller, ce serait un désastre. L'argent du PAM leur permet non seulement de se nourrir, mais aussi de payer le loyer de la chambre dans laquelle vit la famille.
"Pour que la vie reprenne son cours, nous aurons toujours besoin d'argent pour quelque chose", dit Oppah. "Nous avons à présent de la nourriture et un endroit pour dormir, mais si ce programme prenait fin, la vie serait de nouveau difficile."
"Je souhaite une vie meilleure à mes enfants", dit-elle. "J'espère qu'ils pourront retourner à l'école et devenir enseignants et médecins, et éventuellement s'occuper de moi. Je veux qu'ils sachent que j'ai fait de mon mieux pour m'occuper d'eux."
Le PAM est en mesure de soutenir les familles comme celle d'Oppah grâce à ses partenaires donateurs : USAID, le Département britannique pour le développement international, ECHO (Opérations européennes de protection civile et d'aide humanitaire) et le CERF, le Fonds central d'intervention pour les urgences humanitaires des Nations unies.