Faim à Gaza : l'histoire se souviendra, déclare le directeur du PAM pour la Palestine
Des enfants crient de faim et meurent de malnutrition. Les gens s'exposent à des coups de feu pour atteindre les convois humanitaires, et survivent grâce au fourrage pour animaux et à une soupe à base de feuilles et d'herbe. Des niveaux de désespoir et d’insécurité alimentaire qui pourraient transformer une catastrophe humanitaire en quelque chose de bien pire.
Ce sont les images qui se cachent derrière les horribles chiffres de la faim publiés aujourd'hui, soulignant que 300 000 personnes dans les gouvernorats du nord de Gaza seront confrontées à la famine dans les semaines à venir – un aperçu du désespoir que Matthew Hollingworth, directeur par intérim du Programme alimentaire mondial (PAM) pour la Palestine, a vu quotidiennement au cour de sa visite de la bande déchirée par le conflit.
"La famine est une réalité", déclare Hollingworth, à propos de l'analyse d'experts connue sous le nom du Cadre Intégré de la Classification de la sécurité alimentaire (IPC). L'analyse révèle que 1,1 million de Gazaouis souffrent désormais d’une faim catastrophique – le niveau d’insécurité alimentaire le plus élevé – un nombre qui a doublé en seulement trois mois.
"Nous constatons le niveau de faim le plus élevé au monde en termes de chiffres totaux", déclare Hollingworth. "Cette crise est d'origine humaine. Il est choquant de voir à quel point les choses ont dégénéré si rapidement, car le PAM et les autres organisations humanitaires ne peuvent pas atteindre les personnes affamées. L'histoire s'en souviendra comme l’incapacité du monde à empêcher que cela se produise."
Près des trois quarts des personnes confrontées à une faim catastrophique se trouvent dans le nord de la bande de Gaza, où l'accès humanitaire a été sévèrement restreint. Selon les projections du Cadre Intégré de la classification de la sécurité alimentaire (IPC), la famine devrait s'abattre d’ici mai.
Mais il a déjà des zones où des conditions similaires à la famine existent, dit Hollingworth, et risquent de croître rapidement sans un cessez-le-feu et une aide humanitaire rapide et massive.
Un cessez-le-feu nécessaire
"Pour beaucoup de gens, il est déjà trop tard", explique Hollingworth. "Il est trop tard lorsque les mères tentent de faire taire les cris de leurs enfants affamés, lorsque les gens sont réduits à manger du fourrage animal et lorsque nous entendons des informations faisant état d’enfants mourant de maladies liées à la malnutrition."
Un revirement est encore possible, selon lui et d’autres humanitaires. Si un cessez-le-feu s’installe, permettant au personnel humanitaire et aux fournitures de circuler librement – et aux Gazaouis d’accéder à l’aide en toute sécurité – le PAM, par exemple, peut rapidement intensifier ses efforts pour fournir suffisamment de nourriture à plus d’un million de personnes parmi les plus affamées par mois.
"Il n’est pas trop tard pour éviter davantage de souffrances", déclare Hollingworth. "Un cessez-le-feu est une exigence absolue. Sans cela, davantage de personnes mourront – en conséquence directe de la violence, mais aussi en raison des atteintes directes portées à la santé, au bien-être et à la capacité des populations à y faire face."
Même une brève pause dans les combats en novembre dernier, par exemple, a permis au PAM et à ses partenaires de doubler les points de distribution et d'apporter quatre fois plus d'aide que ce que nous aurions pu faire au cours d'une semaine moyenne de conflit.
"Nous devons nous assurer que le monde entier comprennent à quel point ces résultats de l'IPC sont odieux et choquants", déclare Hollingworth. "Nous devons convaincre les parties à ce conflit et à la communauté internationale qu’il est possible d’éviter cela – et nous donner les moyens d’y parvenir."
Malgré les espoirs d'un cessez-le-feu, au mieux 200 camions transportant du matériel humanitaire arrivent quotidiennement dans la bande de Gaza, alors qu'au moins 300 sont nécessaires. De longues files de véhicules restent bloquées aux deux postes frontières de Gaza, Rafah et Kerem Shalom, qui restent ouverts. Même si les parachutages, et désormais la première expédition maritime, ont permis de livrer des vivres alimentaires, la crise alimentaire éclipse leur capacité.
Hier, un convoi de 18 camions du PAM a transporté environ 270 tonnes de farine de blé et de conserves alimentaires vers la ville de Gaza. Même si cette livraison constitue un progrès, elle est loin de répondre aux besoins de la population de l’enclave. En effet, cela ne les maintiendra que quelques jours au mieux.
"C'est frustrant. Nous avons besoin d’un tsunami d’aide, pas d’un filet d’aide", déclare Hollingworth. "Mais à ce stade, tout effort visant à apporter davantage d’aide est le bienvenu. Étant donné l’ampleur des besoins, nous avons besoin d’autorisations pour assurer des livraisons massives et ininterrompues."
Hollingworth s’est exprimé depuis la ville de Rafah, dans le sud de Gaza, où il supervise les opérations depuis plus d’une semaine. Il partage une chambre et des installations rudimentaires avec le personnel du PAM à Gaza qui, comme le reste de la population, a perdu maison, parents et amis.
"Ils s’inquiètent pour leurs enfants, leurs parents et leurs voisins qui pourraient se retrouver coincés dans certaines zones", dit-il. "Et chaque jour, ils participent à cette réponse humanitaire. C’est remarquable."
Risque de retombées plus importantes
Vétéran des situations d’urgence alimentaire, notamment en Ukraine, au Soudan du Sud et en Syrie, Hollingworth n’est pas étranger à la souffrance. C’est partout à Gaza – où des centaines de milliers de personnes ont enduré un hiver de pluie, de froid et de bombes, entassées dans des camps de tentes sordides.
"Le rire n’est plus quelque chose qu’on entend à Gaza ces jours-ci", dit-il. "Vous entendez des tirs d’obus et de mortier, des tirs de roquettes et des tirs d’armes légères. Vous entendez les gens pleurer. Vous les voyez pleurer."
"C'est un endroit si petit et les gens sont coincés ici", ajoute Hollingworth. "Ils ont l’impression que le monde ne réagit pas, que le monde s’en fiche."
Les Nations Unies préviennent que la crise humanitaire à Gaza risque de s’aggraver si les forces terrestres israéliennes pénètrent à Rafah et obligent les personnes déplacées à fuir à nouveau – ou mettent encore plus en péril ceux qui restent.
Cela signifie également que davantage de personnes seront confrontées à une famine imminente, dit Hollingworth. "Cela brisera notre capacité actuelle, quoique maigre, à acheminer l’aide alimentaire et d’autres formes d’assistance par les seuls couloirs dont nous disposons actuellement", ajoute-t-il.
Hollingworth a vu certains Gazaouis trouver courage et force dans ce que beaucoup décrivent comme la pire crise humanitaire depuis des décennies. Mais le désespoir augmente. Ces dernières semaines, les Gazaouis se sont exposés à la violence dans leur recherche de nourriture et d’autres aides. L’anarchie s’accroît.
Dans des situations désastreuses, "l'espoir est le dernier rempart, et pourtant c'est ce que perde beaucoup de gens actuellement", dit Hollingworth. "Cela peut amener des gens à se sentir vaincus, à abandonner et à mourir. Et cela peut certainement faire croire aux gens qu’il n’y a plus rien à perdre."
La Cisjordanie voisine ressent les conséquences de la guerre à Gaza, avec une montée de la colère, de la violence et de la faim. Hollingworth évoque les crises passées – en Syrie, en Afghanistan, au Soudan ou en Somalie, par exemple – où les mêmes ingrédients toxiques ont contribué à alimenter l’instabilité régionale.
"Nous avons une obligation morale de faire quelque chose, alors que nous voyons tant d'innocents souffrir", dit-il. "Il faut croire qu'en criant en leur nom, quelqu'un entendra et agira."