Constance Kobolar, une vie au service de l’humanitaire
Elle est l'une des figures emblématiques du programme des repas scolaires du Programme Alimentaire Mondial (PAM) en Afrique. Du Tchad, son pays natal, en passant par Madagascar, la République Démocratique du Congo ou encore l'Ethiopie, elle a parcouru les territoires pour venir en aide à ceux qui en ont le plus besoin. Aujourd'hui cheffe de sous-bureau du PAM à Kaga-Bandoro, en République Centrafricaine, elle partage avec nous les faits marquants de sa carrière.
Que faites-vous dans votre travail au quotidien ?
En tant que cheffe de bureau, je dois m'assurer que toutes les activités suivent leur cours normal, que tous les éléments sont en place pour l'exécution du plan de travail, que les denrées arrivent aux bénéficiaires et qu'il n'y a pas de nouveaux développements de la situation sécuritaire et de celle des déplacés dans les zones couvertes. Quand j'arrive au bureau le matin, je parcours rapidement ma messagerie puis je fais une réunion rapide avec les collègues seniors. Les priorités de la journée sont relevées et des directives sont données à mes collaborateurs. S'il n'y a pas de réunion prévue, des rencontres informelles avec les collègues des autres agences présentes dans le compound permettent de s'informer sur les derniers développements sécuritaires et sur la situation des déplacés de la zone. Souvent, il m'arrive de descendre à l'improviste au magasin, à la flotte des véhicules ou dans les bureaux des collègues du programme pour échanger avec eux et m'enquérir des difficultés et des problèmes qu'ils rencontrent dans l'exécution de leurs tâches. Après cela, je me plonge dans mes tâches quotidiennes : la messagerie est reprise plus calmement pour vérifier à nouveau si toutes les requêtes ont été traitées ou sont en cours de traitement ou encore si toutes les questions nécessitant un suivi avec le bureau de pays ont été suivies d'action. Ce rythme quotidien serait presque monotone si de temps à autre le plan d'escorte convenu d'un commun accord avec le bataillon militaire n'était pas remis en cause : la flexibilité est la règle d'or ici à Kaga-Bandoro.
Quel a été le moment le plus difficile pour vous depuis que vous travaillez pour le PAM?
En Ethiopie, dans la région Somali, alors que j'étais cheffe de sous-bureau à Kebridehar, un convoi du PAM avec deux véhicules légers fut la cible des groupes armés. L'une des 2 voitures reçut plusieurs impacts de balles mais les 2 chauffeurs, d'un courage extrême, ne se laissèrent guère impressionner. Ils sont descendus de la voiture, au milieu des rafales, et ont exigé des belligérants qu'ils sortent de leur cachette et leur disent pourquoi ils voulaient attenter à leurs vies alors qu'ils savaient que c'était un convoi du PAM qui passait– les véhicules arboraient des éléments de visibilité du PAM — pour aller fournir des vivres aux populations.
En voyant que les deux chauffeurs étaient décidés à ne pas quitter les lieux, quelques-uns sont sortis des bosquets environnants pour venir présenter les excuses du groupe et se sont engagés à ne plus répéter une telle bavure.
Au retour des deux chauffeurs au bureau le soir, des dispositions ont été rapidement prises pour effacer les traces sur les véhicules, les faire partir immédiatement dans un autre sous-bureau et surtout gérer la communication relative à cet incident. Malheureusement pour nous, les nouvelles sont allées très vite et les forces de l'ordre ont investi les lieux très tôt le lendemain matin à la recherche des deux chauffeurs et des deux véhicules.
En tant que cheffe de bureau du PAM et gérant du compound des UN, je leur ai fait face pendant une bonne heure cherchant à les convaincre de la mauvaise idée de vouloir franchir le portail du compound pour arrêter des collègues qui n'ont fait que remplir leur mission, argumentant sur les principes humanitaires de neutralité et d'impartialité. Finalement, ma ténacité en tant que femme et l'appui des autorités administratives ont permis d'éviter le pire. L'arrestation des deux chauffeurs dans le contexte de l'époque pouvait conduire à leur élimination sans une autre forme de procès.
C'étaient deux jours de tension pour moi, mais cette victoire a renforcé la confiance et la solidarité avec mes collègues nationaux y compris le point focal de UNDSS (le Département de la sureté et de la sécurité des Nations Unies) qui au départ n'avait pas compris pourquoi je devais cacher les deux chauffeurs dans le compound des UN.
Q3. Quel a été le moment qui vous a rendu le plus fier depuis que vous travaillez pour le PAM?
C'était lors de mon invitation par la Commission de l'UA, à faire le plaidoyer sur les repas scolaires à la réunion technique des Ministres de l'éducation en octobre 2015. Une fois dans la salle je me suis dit : « Constance, comment vas-tu réussir à convaincre cette assemblée avec moins de cinq minutes pour faire ta présentation ? » — et c'est avec la gorge serrée que j'ai commencé à supprimer des slides malgré les encouragements des collègues de la Commission me rassurant que le travail technique avait déjà été fait à partir de la fiche technique que j'avais soumise au préalable.
Finalement, j'ai livré mon discours en moins de 3 minutes, sans grande conviction d'avoir été à la hauteur de la tâche ; mais quelle surprise ce 31 janvier 2016, lorsqu'une collègue du bureau de liaison d'Addis Abeba me communique la Décision des Chefs d'Etat adoptant le HGSF (Home-Grown School Feeding) dans leur stratégie pour l'éducation au niveau du continent ! « Enfin ! », me suis-je dit. Les repas à l'école ne seront plus uniquement une affaire du PAM mais de nos Etats pour le bonheur de tous les enfants africains !
Qu'est-ce qui vous inspire/motive à aller au travail tous les jours ?
C'est certainement le désir de toujours mieux faire pour alléger les souffrances des plus démunis. Celui qui a faim ne le proclame pas toujours — comme celui qui manque d'eau, ou d'un logement ; c'est pourquoi il faut systématiquement chercher à améliorer les voies et moyens de venir en aide à ceux qui ont faim.
Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui cherchent à travailler dans ce domaine ?
Ce n'est pas un boulot facile car la plupart du temps, il te tient éloigné de ceux que tu aimes le plus. Tu dois aussi être prêt à prendre des risques en cas de besoin et toujours chercher les voies et moyens pour avoir accès et répondre aux besoins des populations les plus démunis.