Cinq jours à Birao : abnégation et détermination pour sauver des vies
A la suite des attaques meurtrières de Birao au nord-est de la RCA, le Programme alimentaire mondial (PAM), a dépêché une équipe afin de fournir une assistance alimentaire d'urgence à près de 15 000 personnes déplacées. « D'habitude dans les villages, c'est le chant du coq qui nous réveille. Mais ici, c'est plutôt les détonations d'armes lourdes ! » s'exclame l'agent de suivi de terrain du PAM, Marlène Francine Bilaud. Debout depuis l'aube, elle revoit les chiffres de la distribution de la veille et planifie la distribution du jour.
Soudain, le crépitement des armes s'intensifie, juste après le cri de panique de Marlène. Instinctivement, tous les occupants de la pièce, s'allongent au sol, la peur au ventre. « Nous n'avons plus de réseau téléphonique, nous sommes désormais coupés du monde » nous lance un collègue du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR).
Heureusement, le vendredi, dès notre arrivée à Birao, Lalou Yavoucko, le chargé des Technologies de l'information et de la communication (ICT) du PAM a finalisé les installations du réseau pour fournir la connexion internet à la communauté humanitaire présente sur place. Tout cela, en dépit de la fatigue du voyage et de la pluie.
Au fur et à mesure que le jour se lève, les détonations des armes baissent. Profitant de l'accalmie, les différents acteurs humanitaires se ruent sur leurs ordinateurs et téléphones portables pour communiquer avec leurs agences respectives. « Lalou tu es notre sauveur, grâce à toi, je peux non seulement communiquer avec notre direction à Bangui, mais aussi rester en contact avec mon compagnon » lance d'un ton enjoué Marlène, l'unique femme parmi les 18 humanitaires qui dorment dans ce gymnase de la base de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies en République Centrafricain (MINUSCA), transformé en dortoir.
Le chargé des ICT, quant à lui, décide de profiter de ce moment de répit pour étendre les points de connexion internet. « C'est stressant de rester confiner dans ce dortoir, alors que nous sommes venus fournir une assistance alimentaire à ces déplacés qui dorment sur le sol boueux de leurs maisons de fortune, en cette saison de pluie » déclare Christian Vignikpo, qui est venu apporter son aide à Lalou.
L'extension des points de connexion est à peine achevée, que les tirs reprennent. « Décidément, c'est un samedi noir, mettons-nous vite à l'abri » hurle Christian tout en courant. Dans cette partie de la Centrafrique, la majorité des humanitaires présents sur le site de cette base militaire, regagnent leurs lits, bien avant l'heure du couvre-feu local de 18h.
Le lendemain, l'équipe est déployée sur le terrain, dans un convoi en direction de l'aérodrome afin de réceptionner la cargaison de biscuits énergétiques, affrétée par la direction du PAM. Sur le tarmac : « Pour gagner en temps, nous allons nous-même décharger ces cartons de biscuits, de sorte que l'avion reparte vite sur Bangui » suggère le Chargé de sécurité Bachir Oumaroumoumouni. Après le départ de l'avion pour la seconde rotation, deux staffs du PAM parcourent le camp des déplacés juxtaposé à l'aérodrome. Ils se dirigent ensuite vers un vieil homme visiblement déboussolé par ces incidents, afin de l'aider à se construire un abri. Cet acte a touché l'homme qui leur a témoigné sa gratitude.
A l'arrivée de la deuxième rotation, l'équipe s'est scindée en deux groupes. Le premier décharge l'avion, l'autre s'active à installer la grande tente blanche communément appelée « Wikhall » qui servira d'entrepôt. « En temps normal, il nous faut quatre jours pour installer un Wikhall mais vu l'urgence, nous l'avons fait en deux jours » nous explique Jean-Bruno, le chef d'équipe de cette installation, la chemise trempée sous le soleil accablant de Birao.
En plus du contexte sécuritaire de cette localité, il faut aussi gérer les aléas climatiques. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'après le déchargement du second cargo de biscuits, les deux pilotes et leur mécanicien ont été contraints de passer la nuit à Birao. Quant à nous, sur le chemin du retour, nous prenons place dans le char des casques bleus de la MINUSCA. Ces derniers assurent la sécurité des convois humanitaires dans cette zone.
A cause du stress, le trajet de 30 minutes, de l'aérodrome à la base militaire, semble durer une éternité. Dès notre arrivée au camp de la MINUSCA, l'équipe, épuisée, regagne le dortoir où la nuit sera ponctuée d'une symphonie de ronflements de certaines personnes dont Birao détient secrètement les noms.
Le lendemain matin, nous sommes réveillés par la pluie. Malgré tout, Marlène et Joseph Sylvain Ngbabo, l'assistant au Programme sont parvenus à distribuer des denrées alimentaires aux 25 000 personnes qui vivent sur les sites de déplacés, sous des tentes et dans des conditions difficiles en cette saison pluvieuse. Le soir à notre retour, nous nous dépêchons de faire nos sacs de voyage car nous devons repartir le lendemain sur la capitale. Cependant, Marlène, comme à son habitude, compile les données pour les expédier à la direction du PAM à Bangui.
Le jour de notre départ, sur le tarmac de l'aérodrome, après avoir accueilli et briefé nos collègues qui vont assurer la continuité des opérations du PAM sur place, notre équipe embarque à bord du Service Aérien Humanitaire des Nations Unies (UNHAS) soutenu par plusieurs donateurs dont les USA et ECHO, l'ultime moyen par lequel les travailleurs humanitaires peuvent atteindre les personnes souffrant de la faim. Sur le chemin du retour, je pouvais lire sur le visage des membres de cette équipe, des signes de fatigue certes, mais aussi la satisfaction d'avoir accompli la noble tâche de sauver des vies. Et cela, qu'importe les risques qu'ils doivent prendre.