Autonomisation économique des femmes au Sahel grâce aux transferts monétaires
Hawa Cheikh Ba et Maimouna Alassane Lo font partie des 33 boutiquiers partenaires du Programme Alimentaire Mondial (PAM) dans le Département de Matam (région au Nord du Sénégal). Elles ont su dépasser les blocages socio-culturels qui font que dans cette région du Fouta, le secteur du commerce de détail n'est pas ouvert aux femmes ; elles plaident toutes deux pour l'augmentation du nombre de femmes détaillantes dans ce programme au sein de leur localité.
En cette matinée de Juillet 2018, veille de la première distribution des bons d'achat alimentaire dans le Département de Matam, les détaillants ont répondu à l'invitation du PAM et de son partenaire d'exécution Africare pour une séance d'information sur le déroulement des distributions et des échanges des bons contre des denrées locales. Cette intervention du PAM au nord du pays est un appui au Plan d'Urgence pour la Sécurité Alimentaire (PUSA) lancé par le gouvernement du Sénégal pour répondre aux besoins des ménages les plus touchés par l'insécurité alimentaire dans le pays.
Au Sénégal, l'assistance du Programme alimentaire mondial (PAM) est de plus en plus délivrée sous forme de bons d'achat alimentaire, distribués principalement en période de soudure aux personnes affectées par les effets des changements climatiques. Cette approche, permet aux populations assistées de s'approvisionner en produits locaux auprès des détaillants agréés par le PAM.
Dans la salle de conférence du Centre de formation Professionnelle de Ourossogui remplie de monde, l'ambiance est parfois tendue. Tour à tour les détaillants prennent la parole pour poser des questions sur le programme et parler des difficultés rencontrées au cours de ces dernières années. Dans ce milieu d'hommes, Hawa et Maimouna essaient tant bien que mal de se faire une place en portant la voix des femmes.
« Ils ne nous facilitent pas la tâche car pour eux, les femmes ne doivent pas faire du commerce. Quand on se rencontre pour parler du programme, les hommes de nos villages ne nous saluent pas car nous empiétons sur leur domaine. Ils croient qu'ils sont les seuls à pouvoir faire du commerce. » nous confie Hawa Cheikh Ba, gérante d'une boutique dans le village de Sinthiou Mball. Vêtue d'un boubou aux couleurs vives, cette dame de 41 ans est confrontée aux préjugés de sa communauté. D'après elle, dans une société conservatrice comme celle du Fouta, il n'est pas facile d'être à la fois une femme mariée et exercer le métier de commerçant.
« Les femmes d'ici ont souvent peur de faire du commerce car il est mal perçu qu'une femme s'éloigne de son foyer pour aller à la recherche de l'argent. Souvent, les gens n'hésitent pas à inventer des histoires qui peuvent nuire à notre réputation. » déclare Hawa Cheikh. Le mari de cette dernière vit au Congo où il a perdu sa première femme, la mère de ses quatre enfants aujourd'hui transférés au Sénégal. Ainsi, en plus de sa fille, Hawa Cheikh se retrouve avec 4 autres enfants à sa charge. Pour pallier aux difficultés économiques que rencontrait son couple, elle a décidé, il y a 5 ans, d'ouvrir une boutique.
« J'ai ouvert ma boutique grâce à l'appui d'un cousin qui vit en France. Il m'a envoyé un peu plus d'un million de FCFA en 3 tranches, ce qui m'a permis de démarrer mon activité. Mon mari n'avait plus de moyens et je devais assurer la charge de la famille. Je rends grâce à Dieu car avec le programme des bons d'achat alimentaire, je parviens à faire des recettes intéressantes pour mon commerce tout en assurant mes besoins personnels et ceux de ma famille. »
Contrairement à Hawa Cheikh, Maimouna Alassane Lo, la détaillante du village de Sinthiou Garba, a ouvert sa boutique avec ses propres moyens. Elle revient sur ses débuts, il y a de cela plus d'une trentaine d'années.
« J'ai commencé le commerce en 1984 avec un fonds de 1000 CFA (moins de 2 Dollars USD). Je me ravitaillais à la Gare de Dakar en petites pierres ( celles-ci sont encore utilisées dans la cosmétique-pierres ponce volcanique) et je les vendais. Aujourd'hui, mes activités économiques marchent bien grâce à Dieu et cela encore plus depuis que j'ai commencé à travailler avec le PAM, il y a deux ans. »
Retrouvée dans sa boutique à moins de 24 heures du démarrage des distributions de bons d'achat alimentaire, Maimouna se prépare. Son discours est souvent entrecoupé par des appels téléphoniques. « C'est mon grossiste de Ourossogui, il doit me ravitailler en riz. J'ai toutes les denrées, il ne me reste que les sacs de riz », dit-elle. En effet, tout doit être fin prêt pour le lendemain car les affaires ne cesseront pas de tourner. Mis à part ses rides qui renseignent sur son âge avancé, cette sexagénaire à la démarche rapide et sûre, dit être solide comme un roc. « Malgré mes 64 ans, je parviens à soulever un sac de riz de 50 kilogrammes » dit-elle en montrant ses biceps.
En achetant en quantité chez les grossistes, ces détaillants parviennent à faire de bonnes affaires. Maimouna a assuré deux distributions durant la période de soudure de l'année dernière. Son meilleur rendement a été un bénéfice de 500 000 FCFA ( environ 900 Dollars USD ) pour la première avec 306 bons échangés d'une valeur totale de 4 700 000 FCFA (plus de 8 300 Dollars USD).
La distribution des bons d'achat alimentaire a aussi des retombées conséquentes sur l'économie locale et créée des emplois parallèles. « L'année dernière j'ai embauché un jeune porteur qui m'aidait à acheminer les vivres chez des bénéficiaires ; il avait ainsi un salaire de 50 000 FCFA ( environ 90 Dollars USD ), » déclare Maimouna.
Comme Maimouna, Hawa Cheikh dit n'envier aucun homme et demande qu'il y ait plus de femmes dans le processus d'échange des bons d'achat alimentaire. Au cours de la dernière intervention du PAM pour la période de soudure de 2017, elles étaient les seules femmes détaillantes du Département.
« Je demande au PAM de renforcer les femmes en les intégrant davantage dans le programme, car les hommes avec qui nous travaillons nous concurrencent et s'accaparent parfois de certains avantages même si nous avons les mêmes compétences. Tout ce qu'un homme peut faire dans ce milieu nous pouvons aussi le faire. J'incite les femmes détaillantes à être plus fortes et déterminées à travailler dans le sérieux et la droiture» affirme Hawa Cheikh.
Pour l'atteinte des Objectifs de Développement Durable-ODD à l'horizon 2030, le PAM compte faire jouer aux femmes un rôle de premier plan. A cet effet, Lena Savelli, Directrice du PAM Sénégal et fortement engagée dans la promotion des femmes souligne que :
« Les femmes au Sahel sont des actrices essentielles pour mettre fin à la faim : les femmes nourrissent leurs familles et représentent jusqu'à 80% de la main-d'œuvre agricole. Cependant, elles doivent encore faire face à de nombreux obstacles structurels pour faire partie de toutes les étapes de la chaîne de valeur alimentaire. Pour parvenir à l'autonomisation économique des femmes, nous devons chercher de manière proactive à comprendre où trouver des femmes détaillantes sur les marchés, qui elles sont, ce qu'elles vendent et comment les connecter aux consommateurs. ».
Ces efforts du PAM commencent déjà à porter leurs fruits. Avant la fin des 3 distributions prévues pour le mois de septembre, il y aura 7 femmes gérantes de boutiques et partenaires du PAM dans le Département de Matam.
Le Département de Podor, frontalier à celui de Matam, est en train de montrer le bon exemple ; on y compte 61 détaillants dont 15 femmes.