Skip to main content

Quand la résilience met fin à la migration au Sahel

Comment Kadri, Amadou et Salissou, trois chefs de famille habitués à l'exode, sont rentrés dans leur Niger natal pour y construire une nouvelle vie
, par Isabelle-Flore Wega
1*l_MIkOLfF5sg7TL6mA93xQ.jpeg
WFP/Tiphaine Walton

 

Kadri Almou, 54 ans, habite à Dargué dans la commune de Chadakori, département de Guidan Roumdji dans la région de Maradi au Niger. Il est marié, père de 5 enfants, dont quatre filles et un garçon. Habitué à se rendre au Nigeria et en Libye pour gagner de l'argent, il lui arrivait de passer 2 à 3 ans sans revenir au pays. En raison de cela, il peinait à assurer l'éducation de ses enfants.

« J'avais à peine de quoi me nourrir. Il m'arrivait de passer des semaines à ne rien faire » dit-il. « Mon épouse, elle, faisait tout ce qu'elle pouvait pour nourrir notre foyer ». Par exemple, elle décortiquait le mil, et en recevait une poignée en contrepartie pour la famille. Je ne pouvais vraiment rien apporter à ma famille restée au pays, excepté tous les six mois, où je pouvais leur envoyer 3 000 à 5 000 Franc CFA», se souvient Kadri.

La vie de Kadri Almou et de sa famille commence à changer en 2013, avec le lancement du programme de renforcement de la résilience des populations vulnérables.

A leur retour à Dargué, ils sont enregistrés comme « Ménage très pauvre ». Kadri trouve alors un emploi, dans le domaine de la récupération des terres agricoles et pastorales dégradées (techniques de zaï et demi-lunes).

« Notre vie a changé du tout au tout. D'un repas, nous sommes passés à trois repas par jour. Tous les enfants sont à l'école sauf le petit dernier. Ils s'habillent proprement maintenant » raconte Kadri avec fierté.

1*nQTmhxmFO8j_N8M6QsySAQ.jpeg
Kadry Almou devant sa concession avec sa première épouse. Photo: WFP/Isabelle-Flore Wega

Enregistrés comme « très pauvres » en 2013, ils sont aujourd'hui dans la catégorie des « Ménages à revenus moyens ». Il est désormais propriétaire de 10 hectares de champs, et y recrute les salariés agricoles qu'il rémunère aisément : 5 000 FCFA par hectare pour le démariage de 8 hectares (il en a mis deux en jachère). Il emploie trois personnes à 40 000 FCFA pour le cerclage de ces 8 ha. L'année dernière, Kadri a pu acheter 45 000 FCFA d'engrais avec ses propres ressources.

« Grâce au PAM, je possède 4 petits et 2 gros ruminants,1 bœuf et une ânesse, ainsi qu'une charrette et la charrue, un semoir et une moto. »

Retour de la migration

Amadou Adah, 48 ans, marié, et père de 10 enfants, est agriculteur spécialisé dans le mil, le haricot, le sorgho et les arachides destinés à la consommation du ménage et à la vente. Ancien migrant, le projet de création d'actifs lui a permis de se sédentariser à nouveau.

C'est en pleine adolescence, à l'âge de 14 ans, qu'il quitte la première fois son Boussaragué natal pour se rendre au Nigeria. Il a marché pendant 3 jours pour se rendre à Shinkafi. Les premiers mois, il vivait essentiellement de mendicité, puis il a travaillé comme bûcheron, et ensuite dans les carrières.

« Je n'avais presque aucun revenu. 2 nairas par jour (monnaie du Nigeria), ou rien du tout. Je passais neuf mois par an au Nigeria et retournais au Niger à pied. En tout, j'ai fait le voyage Niger-Nigeria aller-retour à pied cinq fois » raconte-il.

Ces allers et venues ont duré quinze longues années. « J'ai dû recourir à la mendicité pour tenir. Quand j'étais au Nigeria, je n'avais pas de contact avec les miens restés au pays. Si je le pouvais, j'envoyais 20 nairas par mois à ma famille », raconte Amadou, très ému.

1*Hes5DSBSnR2-Cb6HHQRvZA.jpeg
Lors d'une discussion éducative, avec d'autres bénéficiaires du FFA. Photo: WFP/Isabelle-Flore Wega

Puis vint 2013, Amadou prend alors part aux activités de création d'actifs. Pendant la saison sèche, il utilise respectivement les techniques agricoles de zaï et de demi-lunes dans les espaces agricoles et pastoraux dégradés. Cette nouvelle vie marque la fin de l'exode. Il a réussi à récupérer tous ses champs hypothéqués pendant 7 ans, ainsi que ceux mis sous hypothèque par son père pendant 11 ans. Pour cela, il a payé près de 100 000 FCFA, provenant de ses propres ressources . Aujourd'hui, cinq de ses enfants sont inscrits à l'école.

« Au cours de mes travaux, j'ai ouvert les yeux. Avant, j'étais dans l'ignorance, même la manière de cultiver était différente. Les techniques culturales (zaï) et la récupération des terres sont précieuses »

A l'avenir, Amadou souhaite continuer à bénéficier des techniques culturales, pour lui-même et pour sa famille. Aujourd'hui, il sollicite l'aide de deux à trois personnes pour les champs, notamment pour les activités de cerclage et de démariage. C'est ainsi qu'il compte s'offrir une moto et un commerce.

L'ancien exilé de Libye devenu propriétaire

Salissou Ado a 40 ans, même s'il semble plus âgé. Agriculteur, il élève avec son épouse ses quatre enfants, dont un seul garçon. Mais, Salissou a conscience que dans son village de la commune de Maijirgui, au Niger, cela aurait pu être différent.

1*pMUfRvwMn7iF2IroJ0ADeA.jpeg
Salissou Ado. Photo: WFP/Isabelle-Flore Wega

Marié en 2002 dans le village de Dilo, à coté de Tessaoua, sa vie a été marquée par le besoin et la pénurie. Pendant la saison de pluie, il labourait les champs, faisait du salariat agricole dans les champs et passait une semaine dans son propre champ.

Quand il travaillait, il récoltait au maximum un sac de mil par an, une quantité insignifiante. Pour ces raisons, il a alors décidé de se déplacer en dehors de son pays. D'abord au Nigeria dès l'âge de 15 ans. Même s'il ne partait que de janvier à mai chaque année, son exode n'en demeurait pas moins difficile, puisqu'il était impossible pour lui de contacter sa famille.

Du Nigeria, il migre en Libye de 2012 à 2014, obligé de se cacher, de vivre reclus dans une chambre six mois de suite pour fuir la police. La personne qui l'héberge partage ses repas avec lui et ses autres visiteurs. Alors qu'il sort un jour pour chercher du travail, il est arrêté et mis en prison pendant une semaine. Il verse alors 50 000 FCFA pour être relâché. Il parviendra à rembourser ce montant avancé par un membre de la communauté au bout d'un mois, grâce au salaire de 70 000 FCFA qu'il perçoit pour l'arrosage de plantes, de manguiers et de dattiers.

Les années d'exil sont synonymes de grandes privations pour Salissou. Les mois où il percevait la totalité de son salaire de 70 000 FCFA, il vivait avec 20 000 et envoyait 50 000 à sa famille restée au pays.

Quand en 2013, le Programme Alimentaire Mondial lance le programme de renforcement de la résilience, Salissou fait partie des 45 migrants à rentrer au pays sur les 50 de son village natal se trouvant en Libye.

1*o5sBHF507K0HwTMjTbTx3Q.jpeg
Les récoltes de haricot sont abondantes. Salissou et son épouse encadrent les travailleuses. Photo: WFP/Isabelle-Flore Wega

Il se lance, comme 44 co-bénéficiaires du programme, dans l'activité de création d'actifs dans l'agriculture et l'élevage. Son travail finit par payer.

« Maintenant je ne travaille plus dans les champs des autres, j'ai mon propre champ de 2 hectares, et je suis même patron. J'emploie 3 à 4 salariés agricoles » nous explique-t-il.

Il ajoute qu'il possède deux champs acquis sur gage pour un montant total de 110 000 francs pour 4 hectares. Des salariés agricoles y travaillent, et sont rémunérés 10 000 FCFA par champs pour le labour et 25 000 pour chacun des deux tours de cerclage soit au total 60 000 FCFA. Dix femmes travailleuses y font quotidiennement la récolte de haricot. Elles sont payées 500 à 750 FCFA.

Propriétaire d'une charrette, d'un bœuf et de trois brebis, celui qui se cachait chez les autres en Libye est fier d'avoir construit sa propre maison en matériaux définitifs, et d'avoir, sur la seule année dernière, dépensé 70 000 pour daller cette propriété.

« Nous avons acquis beaucoup de choses. Nous attendons le lancement des activités d'aménagement de la marre. Grace à cela, nous allons définitivement sortir de la pauvreté et de la faim. »