Prix Nobel de la paix : une application aide le PAM à analyser les conflits et les chocs climatiques en Afghanistan
Par le PAM, traduit de l'anglais
« Le besoin de solidarité internationale et de coopération multilatérale est plus évident que jamais », a déclaré le Comité Nobel norvégien, qui vendredi 9 octobre nommait le Programme alimentaire mondial (PAM) lauréat du prix Nobel de la paix 2020.
Dans une déclaration, le Comité a souligné que « l'aide apportée pour accroître la sécurité alimentaire ne permet pas seulement de prévenir la faim, mais peut également contribuer à améliorer les perspectives de stabilité et de paix. »
Il ajoute : « En 2019, 135 millions de personnes ont souffert de la faim aiguë, le chiffre le plus élevé depuis de nombreuses années. Cette augmentation est en grande partie due à la guerre et aux conflits armés ». Le PAM, selon le Comité Nobel, a « pris l'initiative de conjuguer travail humanitaire et efforts de paix ». Afin de maintenir cette avance, le PAM doit innover — et l'Afghanistan en est le parfait exemple.
Le conflit est une réalité constante pour les Afghans depuis quatre décennies. Les difficultés et les crises récurrentes ont érodé la résilience de la population, et beaucoup sont dans l'incapacité d'accéder aux services de base.
La sécheresse, les inondations et les avalanches peuvent bloquer les rares routes qui serpentent au milieu des montagnes de ce pays enclavé et par lesquelles les camions du PAM cherchent à livrer l'assistance alimentaire aux personnes vulnérables, même en temps de conflit.
En collaborant avec une entreprise leader dans le domaine des Systèmes d'Information Géographique (SIG), le PAM a mis au point une cartographie qui révolutionne son travail.
« Cet outil a joué un rôle essentiel dans le soutien des opérations et des négociations d'accès en Afghanistan», déclare Robert Kasca, Directeur par intérim du PAM en Afghanistan. « Dans le contexte opérationnel actuel qui s'avère très complexe, nous ne pouvons plus nous imaginer travailler sans outils cartographiques avancés. »
Thierry Crevoisier, responsable des SIG au siège du PAM à Rome, souligne que « la première chose que nous devons toujours faire est d'établir combien de personnes ont besoin d'une aide alimentaire, et où elles se trouvent". Il ajoute : « Il s'agit ensuite de déterminer quelles sont les zones auxquelles nous pouvons accéder et comment. »
Ce travail fait appel à une ressource locale, non technologique : les communautés bénéficiaires. Le PAM est le pionnier de la nouvelle politique de responsabilisation de l'action humanitaire auprès des populations bénéficiaires. Ces communautés ne sont plus considérées comme des bénéficiaires passifs de l'aide mais sont dorénavant des garants de l'efficacité des programmes et des acteurs de son exécution.
Pour sécuriser les couloirs vers les lieux reculés, le PAM s'entretient avec toutes les parties prenantes, dont les gardes des routes que l'agence doit traverser pour atteindre les personnes vulnérables en toute sécurité. Ce travail se fait dans le respect des principes humanitaires : humanité, neutralité, impartialité et indépendance opérationnelle.
« Nous ne nous limitons pas aux zones contrôlées par le gouvernement car nous devons atteindre toutes les personnes dans le besoin », déclare Henry Chamberlain, responsable de la sécurité du PAM en Afghanistan. « Nous travaillons avec la plupart des groupes armés non étatiques qui contrôlent les territoires et l'accès. »
Le gouvernement afghan maintient le contrôle de Kaboul, des capitales provinciales, des principaux centres de population et des principales voies d'approvisionnement, selon un rapport du ministère américain de la défense sur la sécurité et la stabilité de juillet 2020. Cependant, le niveau actuel de violence et d'attaques des Talibans est le plus élevé jamais enregistré, et ce malgré les négociations de paix en cours à Doha. Les Talibans érodent progressivement les structures de sécurité et étendent leurs zones de contrôle.
L'approche du PAM, fondée sur les données récoltées, détermine avec qui s'engager et négocier afin d'établir des relations et de faire accepter l'aide avant qu'elle ne soit fournie. Elle permet de se passer des escortes militaires — qui font souvent des convois humanitaires une cible pour les groupes armés — et facilite l'accès à des zones autrefois considérées comme trop risquées.
« Cela a amélioré la prestation dans de nombreux domaines et nous a permis d'éviter des incidents de sécurité », explique M. Chamberlain.
Quant aux missions sur le terrain dans les zones contrôlées par les groupes armés non étatiques, « nous pouvons maintenant comprendre clairement les limites géographiques de ces missions, les points chauds des conflits et les zones prioritaires », ajoute-t-il. « La visualisation des itinéraires des camions de la flotte nous donne un aperçu incroyable des endroits où nous sommes en sécurité et avons un soutien. »
La technologie à la rescousse
Falaknaaz Khan est un « loggie », ou logisticien en chef à Kaboul, qui souligne le manque de routes. « La plupart des endroits que nous desservons sont inaccessibles en hiver », affirme-t-il.
« Lorsque la neige commence à peine à fondre, les pluies démarrent : d'avril à mai et parfois jusqu'en juin. Les routes boueuses entraînent à nouveau l'annulation de missions ou des retards dans les livraisons ».
Grâce en grande partie à une prise de décision fondée sur des données factuelles, avec des applications cartographiques qui soutiennent les actions du personnel sur le terrain, le PAM a atteint plus d'un million de personnes souffrant d'insécurité alimentaire en Afghanistan en août.
Les données logistiques peuvent être techniques et compliquées.
« Nous produisons des cartes de référence avec le réseau de transport pour que le service Logistique puisse planifier ses itinéraires et voir quelles routes peuvent être empruntées avec quels camions », explique Thierry Crevoisier, responsable des SIG. Avec son équipe, il crée également des cartes opérationnelles qui montrent les besoins alimentaires en temps réel, d'où viennent les vivres et en quels volumes.
« Nous construisons généralement un tableau de bord avec les informations sur la sécurité uniquement », explique Lara Prades, chef de l'unité géospatiale de la division des urgences au siège du PAM à Rome. « Mais cette fois-ci, nous avons rassemblé toutes les séries de données provenant de différents services du PAM ».
Les différents onglets de l'application ArcGIS Survey123 permettent aux utilisateurs d'accéder à diverses informations, ce qui permet le suivi de la sécurité, la chaîne d'approvisionnement, l'analyse et la cartographie des vulnérabilités ou les objectifs programmatiques.
Les conducteurs sur le terrain peuvent recueillir et communiquer des informations sur l'évolution des conditions. Les gestionnaires de flotte collectent des informations auprès des conducteurs et toute l'organisation bénéficie de ces données actualisées.
Ce nouveau système du PAM a été mis en place il y a quatre ans pour répondre aux défis complexes en matière de sécurité en Afghanistan. Il a depuis évolué pour intégrer de nombreux aspects différents de la mission du PAM, notamment ses ressources, ses programmes de transfert d'argent, la livraison de nourriture et les programmes de nutrition.
Si « le monde risque de connaître une crise de la faim d'une ampleur inconcevable », comme l'affirme le Comité Nobel, « de telles avancées nous rapprochent de l'objectif d'éradication de la faim », déclare M. Prades.
M. Chamberlain est d'accord : « [Avant] nous menions des opérations de sécurité à l'aveugle — nous ne faisions que réagir. Une opération basée sur des données fournit les informations de base dont nous avons besoin pour prendre des décisions importantes en matière de sécurité. Nous ne pouvons pas nous en passer. »