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Mehe, Hatice et Feride : Syriennes, réfugiées, artistes

Rencontre avec trois des artistes de l'exposition Colours Of Hope
, WFP (PAM)
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Photo: WFP/Ozan Topas

Feride, Mehe et Hatice ont beaucoup de choses en commun. Toutes sont originaires de la région d'Alep, habitent à Ankara, ont à peu près le même âge et sont mères de plusieurs enfants.

Elles ont également toutes les trois été victimes de la guerre qui sévit dans leur pays depuis plusieurs années et ont dû se résoudre à fuir la Syrie pour se rendre en Turquie. Mehe a ainsi quitté sa maison en pleine nuit et n'a atteint la frontière avec sa famille que la nuit suivante. Feride ne s'est quant à elle décidée à partir que suite à la mort de son petit-fils de deux ans, tué par une bombe alors qu'il jouait sur le balcon.

A leur arrivée en Turquie les trois femmes ont dû faire face à une situation très précaire : absence de revenus, de repères mais aussi nostalgie de leur foyer.

Pour Hatice, le plus difficile en tant que réfugiée est de devoir compter sur les autres, elle qui tient tant à ce qu'elle et sa famille puissent « se débrouiller par [eux]-mêmes ». Après avoir été logés par des proches, ils ont donc rapidement trouvé une petite maison à louer. Une expérience nouvelle pour elle dont la famille possédait une maison et une voiture en Syrie. Elle désire plus que tout être indépendante et a, pour cela, rapidement commencé à apprendre le turc.

Mehe de son côté est particulièrement nostalgique de son foyer en Turquie. Elle se demande régulièrement ce que sont devenus les nouveaux meubles qu'elle et son mari avaient achetés juste avant de quitter le pays. A leur arrivée en Turquie le travail de son époux, charpentier, a permis de rapporter un peu d'argent. Trop peu malheureusement pour toute la famille. Les dettes ont commencé à s'accumuler.

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Mehe, Photo : WFP/Ozan Toptas

Feride travaillait dans la petite boutique qu'elle possédait à Alep avec son mari Cemal. Ce dernier y passait de longues heures chaque jour et rapportait de quoi subvenir aux besoins de toute la famille. A leur arrivée en Turquie, il était contraint de ramasser des chaussettes dans la rue, les revendre ensuite au marché et espérer ainsi gagner quelques livres. Leur fils rapporte lui de vieux vêtements à sa mère qui les reprise pour les revendre ensuite. Avec ces modestes revenus, Feride et toute sa famille se partagent ainsi un appartement de trois pièces, à onze personnes.

Hatice, Feride, Mehe : trois femmes dont les histoires font tristement écho à celles d'autres réfugiés parmi les 1,6 million soutenus par le programme d'aide sociale d'urgence ESSN (Emergency Social Safety Net). Financé par l'Union Européenne à hauteur d'un milliard d'euros, il s'agit du plus grand programme de soutien humanitaire de l'UE. Lancé en 2016, l'ESSN a pour but de venir en aide aux réfugiés les plus vulnérables parmi les 4 millions présents en Turquie. Les familles reçoivent une carte de paiement sur laquelle est versée 120 livres turques (l'équivalent de 20 euros) par membre chaque mois. Ce fonctionnement répond pleinement au désir d'indépendance de Hatice puisqu'il permet aux familles de faire leurs achats selon leurs priorités, guidées par leurs propres choix. La plupart utilisent cet argent pour acheter de la nourriture, payer le loyer ou encore acheter des vêtements et des fournitures scolaires.

Hatice apprécie particulièrement d'avoir le contrôle sur ses décisions pratiques. Elle utilise la carte pour acheter des aliments de base comme du sucre, de l'huile du riz ou du gaz pour cuisiner, et parfois même du poulet.

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Hatice, Photo : WFP/Ozan Toptas

Dans la famille de Mehe, cet argent a tout naturellement été utilisé pour régler une partie de leurs dettes. « Notre situation s'est améliorée et je peux maintenant acheter du lait pour ma fille de 2 ans ». Mehe espère aujourd'hui pouvoir vivre paisiblement avec son mari et ses enfants. Elle voudrait également posséder un jour sa propre maison.

Tout comme Mehe, Faride nourrit l'espoir de voir un jour ses enfants et petits-enfants suivre des études, ainsi que celui de pouvoir un jour retourner en Syrie. Grâce aux transferts de l'ESSN elle peut parer aux dépenses les plus urgentes, loyer et factures, mais aussi faire parfois plaisir à sa famille en achetant des dolmas (légumes farcis).

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Feride, Photo : WFP/Ozan Toptas

Ces trois femmes ont un autre point commun : elles ont la fibre artistique. En effet, Feride, Hatice et Mehe ont participé au projet « Colours of Hope », une exposition artistique réalisée par douze femmes bénéficiant du programme ESSN. Elles ont pu apprendre différentes techniques telle que la linogravure, la sérigraphie ou encore le patchwork. Grâce à « Colours of Hope », elles ont pu exprimer leurs sentiments et leur ressenti vis-à-vis de leurs expériences passées, de leur fuite de Syrie ainsi que de leur arrivée en Turquie. Un partage qui s'est notamment fait à travers les œuvres, mais aussi par le simple fait de se retrouver ensemble, elles qui partagent tant de traumatismes.

La linogravure a été particulièrement appréciée par Mehe, qui a réalisé un grand faucon, « symbole de liberté ». Pour Hatice ce projet a été l'occasion d'exprimer les émotions qu'elle gardait au fond d'elle depuis quatre ans, et notamment la profonde nostalgie qu'elle a de son pays. Le thème du foyer imprègne ainsi nombre de ses œuvres, parsemées d'images de maison et signe de son profond désir de retourner en Syrie. Feride est très heureuse d'avoir pu participer à ce projet, et aimerait qu'il se poursuive afin qu'elle puisse partager ce qu'elle sait. « J'espère que les gens qui verront nos œuvres apprécieront ce que nous avons fait », confie-t-elle.

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Faucon, linogravure réalisée par Mehe

Après avoir été présentée en Turquie, à Ankara puis à Istanbul en 2018, l'exposition « Colours of Hope » est à Strasbourg où elle sera visible à la gare jusqu'au 15 septembre. Hatice considère que c'est une très bonne idée que leurs œuvres soient exposées en France, et plus généralement en Europe.

« Je veux que les personnes qui voient cette exposition comprennent quels sont nos souhaits, je veux aussi qu'elles réalisent que nous sommes heureux et que nous avons pris beaucoup de plaisir à faire ces œuvres ».

Un sentiment partagé par Feride et Mehe, qui souhaitent avant tout que les visiteurs se sentent heureux en contemplant leurs travaux.

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Espoir, sérigraphie réalisée par Feride