Les smartphones au service de la médecine
Par Jean-Martin Bauer, traduit de l'anglais
Obtenir des données nutritionnelles des centres de santé éloignés de la République du Congo représente un réel casse-tête.
Chaque jour, le personnel médical remplit les carnets de santé à la main. Une fois par mois, ils rédigent un rapport qui est envoyé à un responsable de district, grâce au moyen de transport disponible à ce moment. Le responsable de district compile alors les données reçues, avant de transmettre un résumé à un chef de département du ministère de la capitale, Brazzaville. Le délai est généralement de cinq semaines, voire plus.
Au moment d'analyser et de partager l'information, celle-ci est déjà obsolète. Il arrive même que les données se perdent en cours de transfert. Pour toutes les personnes concernées, ce processus créé une grande frustration.
Une équipe d'entrepreneurs de la division nutrition du Programme Alimentaire Mondial (PAM) et de Charitable Analytics International (CAI), une organisation mondiale à but non lucratif qui utilise les données pour le bien social, travaillent maintenant avec le gouvernement du Congo pour faire évoluer les choses.
Selon les données de la Banque Mondiale, au Congo, 96% des personnes disposent d'un abonnement mobile. La connectivité est bonne et beaucoup de gens ont des smartphones. Serait-ce la clé d'une nouvelle technique de transfert d'informations ?
MEZA : la plateforme qui change les choses
C'est ainsi que MEZA est né. Nommée avec un mot qui signifie « table » dans de nombreuses langues d'Afrique centrale, cette solution permet aux agents de santé de prendre une photo du journal de bord avec leur smartphone et de l'envoyer à un numéro WhatsApp dédié. MEZA « lit » le journal de bord par reconnaissance optique de caractères et classe ainsi les données dans un tableau lisible par machine. Ces dernières sont alors prêtes à être analysées.
Un projet pilote MEZA est en cours d'exécution en République du Congo. L'équipe a fourni à 57 membres du personnel médical des journaux de bord personnalisés (un pour les enfants et un pour les femmes enceintes) ainsi que des smartphones utilisant la meilleure infrastructure réseau (Airtel/MTN) disponible pour chaque emplacement. Chaque clinique a ainsi reçu un téléphone accompagné des crédits de temps d'antenne hebdomadaire. Le personnel de santé des régions de Pool et de Bouenza, où le PAM met en œuvre des programmes de nutrition d'urgence, ont été formés à l'utilisation des journaux de bord et des smartphones. Une fois par semaine, ils prennent une photo de leurs dossiers et les transmettent via le numéro WhatsApp dédié.
De MMS à WhatsApp
A l'origine, MEZA devait fonctionner avec le service de messagerie multimédia (MMS), l'accès à une ligne téléphonique étant plus facile pour le personnel médical que d'accéder à une connexion internet. Cependant, les fournisseurs locaux n'ayant pas pu rendre le MMS accessible, WhatsApp semble être une meilleure option. Il est de plus en plus possible de se connecter en République du Congo, même dans les zones isolées. La plateforme de messagerie WhatsApp est également plus dynamique, et davantage populaire, notamment auprès des jeunes. Elle pourrait ainsi permettre la création d'un groupe « MEZA » afin d'aider le corps médical à interagir et à échanger des informations.
Bien que la plupart des agents de santé maitrisaient déjà WhatsApp, d'autres, sur le terrain, ont dû être formés à son utilisation et à la prise de bonnes photos. Un aspect crucial, car des photos de mauvaises qualités empêcheraient le composant de reconnaissance optique de MEZA de fonctionner correctement.
Et ensuite ?
L'idée est devenue virale : le personnel médical est enthousiaste à l'idée d'envoyer les données plus rapidement. Chacun souhaite changer les choses grâce à son transfert de données. Et l'approche proposée pourrait également réduire leur charge de travail.
Maintenant que le corps médical a été formé et doté des outils essentiels, l'équipe de MEZA sera là afin de vérifier les soumissions hebdomadaires de données, d'assurer le suivi, directement ou par l'intermédiaire des superviseurs de district, auprès des cliniques qui n'envoient pas les données régulièrement ou qui rencontrent des difficultés. Les questions qui reviennent le plus souvent seront traitées par le biais de guides visuels, qui seront également partagés avec les stagiaires de MEZA par le biais de WhatsApp.
L'accent sera avant tout mis sur l'évaluation de la fiabilité de la reconnaissance optique de caractères, afin de contrôler et d'assurer l'exactitude des données.
Voir plus grand
Des formes variées de malnutrition chez les enfants de moins de 5 ans constituent un grave problème de santé publique en République du Congo. Le retard de croissance (ou une taille trop petite par rapport à l'âge) affecte encore 21,3 % d'entre eux et va de pair avec une surcharge pondérale (affectant 5,9 %) et des carences en fer, en vitamine A et en iode. Seuls 6 % des enfants âgés de 6 mois à 2 ans ont une alimentation répondant aux exigences minimales d'une diversité alimentaire.
En aidant à fournir des données en temps réel sur la nutrition, classées par sexe et âge, MEZA contribue à un ciblage plus précis des programmes de nutrition, ainsi qu'à une plus grande productivité du personnel médical.
Le concept MEZA a été mis au point en juin 2018 par une équipe conjointe PAM-CAI, participant au programme WFP Accelerator.