Congo : le manioc à la croisée des chemins
Par Jean-Martin Bauer, traduit de l'anglais
Brigitte, une vendeuse de chikwangue de la ville de Loudima, dans le sud du pays, nous parle de ses produits et plus généralement du manioc : « Le manioc est le plat principal du peuple congolais : tout le monde au Congo mange du manioc ». Le chikwangue, cuisine de rue omniprésente, est un pain de manioc fermenté et enveloppé dans des feuilles. « Le manioc est la base d'une bonne alimentation pour nous », ajoute-t-elle.
Il n'est donc pas étonnant que ce produit cultivé soit l'aliment numéro un incontesté du Congo. La pâte de manioc, servie avec une part de saka-saka (feuilles pilées de manioc frais) est le plat national. Sa popularité fait du manioc l'aliment phare du système alimentaire congolais.
Un aliment aux multiples bienfaits mais encore trop négligé
Originaire d'Amérique du Sud et importé pour la première fois au Congo au XVIe siècle, le manioc se décline en plusieurs variétés douces ou amères. Dans les zones urbaines, la population a ses préférences lorsqu'il s'agit du manioc : un plat fait à base de bouillie de manioc fermenté appelé foufou, d'épaisses tranches de chikwangue, des pains de manioc cuits à la vapeur que les vendeurs ambulants vendent emballés et prêts à manger.
Mais le développement de la culture du manioc vit un tournant : le manioc est sensible au virus de la mosaïque, une maladie dévastatrice qui cause d'énormes pertes pour les agriculteurs. Bernard Dihoulou, le responsable terrain du PAM dans la région très productive de Bouenza, nous explique que chaque famille cultive du manioc : « Les ventes de manioc sont vitales pour ces communautés, c'est grâce à cela que les gens paient les frais de scolarité », ajoute-t-il. Selon la FAO, le Congo produit plus de 1,5 million de tonnes de manioc par an.
La transformation du manioc à domicile est une tâche difficile qui nécessite de la main d'oeuvre entièrement dédiée à cette tâche. De nombreuses femmes sont ainsi occupées à cela des journées entières. S'agissant de la culture du manioc, la division du travail reflète des normes et des rôles sexospécifiques de longue date : les hommes ont tendance à participer à la production de l'aliment, tandis que les femmes transforment le manioc à la maison et le vendent sur le marché.
Toutefois, les méthodes de transformation les plus courantes privent la pâte de manioc de ses propriétés essentielles au point de l'appauvrir sur le plan nutritionnel. Sur les marchés urbains, les produits cultivés et mis à la vente rencontre une forte concurrence en raison des produits de blé importés à bas prix.
Alors que le Congo s'efforce de diversifier son économie et de construire un système agricole capable de nourrir la nation toute entière, il est important de continuer à renforcer la chaîne de valeur du manioc. Une combinaison d'approches, de l'industriel à l'artisanal, peut ainsi aider à atteindre cet objectif.
Potentiel inexploité
Grâce à l'assistance technique de la FAO, du FIDA et de la Chine de ces dix dernières années, les agriculteurs utilisent maintenant des boutures de manioc saines et résistantes au virus de la mosaïque. Cela permet ainsi d'augmenter le niveau de productivité des agriculteurs. Malheureusement, la transformation de l'aliment repose en grande partie sur des techniques traditionnelles et se fait donc à domicile . L'échelle de production n'est donc pas adaptée pour pouvoir absorber l'excédent croissant et ne permet pas de répondre à la demande grandissante en milieu urbain. De plus, les mets à base de manioc produits à la maison ont tendance à être relativement chers.
Le potentiel commercial de la culture du manioc reste trop inexploité. Cet aliment s'avère pourtant être une grande source d'amidon pour une large gamme de l'industrie agro-alimentaire. En Amérique latine et en Asie, les usines intégrées de production du manioc permettent de tout produire, de la colle, aux nouilles instantanées, en passant par des biscuits.
Dans le cas où elle serait solide et prospère, l'industrie du manioc congolais absorberait les excédents et offrirait aux consommateurs un choix de produits relativement bon marché, de qualité et fabriqués localement. Par ailleurs, fortifier le manioc en usine pourrait permettre de garantir l'accès à des nutriments essentiels pour les enfants qui reçoivent les rations quotidiennes de manioc.
Soutenir les coopératives
Les petits producteurs exploitent également le marché croissant des produits à base de manioc. Le district de Yamba, dans le sud du Congo, est un lieu unique de transformation du manioc : en 1952, un homme de Yamba s'est rendu au Bénin où il a appris à transformer le manioc en gari, une farine de manioc grillée. Quand il est rentré chez lui, il a partagé ses connaissances avec sa communauté. Depuis, les habitants de Yamba transforment le manioc en gari afin de le vendre jusqu'à Pointe Noire, la deuxième ville du Congo sur la côte atlantique sud, ainsi qu'à Libreville au Gabon.
Mais transformer le manioc est une activité éreintante : d'abord les gens pèlent puis trempent les tubercules de manioc. Ils les râpent ensuite sur une tôle perforée arquée.
Le manioc râpé est pressé dans des sacs sous un gros tas de cailloux pendant deux jours. Les ouvriers tamisent et font ensuite griller la farine de manioc obtenue sur une plaque métallique placée sur un feu de bois.
Le gari, produit ainsi, est de bonne qualité mais le processus peut être amélioré. Les producteurs risquent en effet de se blesser et d'inhaler de la fumée. « Après une journée de travail passée à soulever des pierres, j'ai mal au dos et mes yeux me brûlent à cause de la fumée », se confie Angèle, membre d'une coopérative. Le précieux amidon mentionné plus haut est également perdu à l'étape du pressage.
Heureusement, beaucoup de ces problèmes ont été résolus en Afrique de l'ouest grâce à des mécanismes améliorés. Au Congo, les producteurs sont maintenant impatients de promouvoir les échanges avec l'Afrique de l'ouest afin d'encourager l'émergence des producteurs locaux de manioc au Congo.