Fenêtre sur la Syrie: un photographe du PAM revient sur une décennie de conflit
J'ai toujours voulu écrire sur la Syrie et la beauté de ce pays. L'histoire, les vieux souks [marchés], la générosité de ses habitants - c'est un pays qui se compose de plus de 20 groupes ethniques et religieux vivant en harmonie.
Mais je me retrouve à écrire sur mon pays et mon peuple dans l'un des moments les plus difficiles auxquels ils n'ont jamais été confrontés. J'ai tenu une caméra pendant certains des moments les plus sombres du pays. J'ai documenté la souffrance en étant en première ligne. J'ai vu la peur dans les yeux de mes enfants.
Pendant des années, c'était notre vie quotidienne et le conflit était le seul sujet dont nous parlions. Des scènes de destruction qui choqueraient n'importe qui sont devenues quelque chose de normal pour nous. Aujourd'hui, les enfants syriens grandissent en pensant que c'est à cela que ressemble une ville.
Quand j'ai pris la photo ci-dessus, je me suis demandé à quoi pensait cet enfant. Que voit-il ?
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Que pensez-vous qu'il se soit passé ici ? Les femmes et les enfants sont toujours les premiers touchés par les conflits. Les enfants ne devraient pas être exposés à de telles scènes violentes. Malheureusement, après une décennie de destruction, toute une génération grandit aujourd'hui traumatisée par ce qu'elle a vu et entendu. Pendant de nombreuses années, les déplacements ont dominé l'actualité de la Syrie. Les gens ont fui pour sauver leurs proches et leur propre vie.
À ce moment-là, je ne savais pas trop quoi dire à quelqu'un qui avait été déplacé. Même une simple question telle que “comment vas-tu ?” semblait tellement hors de propos. Bien sûr, les gens qui avaient tout laissé derrière n'allaient pas bien.
Mais les gens que j'ai rencontré à cette époque m'ont toujours donné l'impression que ce ne serait qu'une situation temporaire. Ils avaient perdu tout ce qu'ils avaient, sauf leurs sourires, leur esprit et leur espoir. À chaque mission que je faisais avec le PAM, j'étais inquiet pour eux. Je pensais que je leur causerais plus de douleur encore en leur demandant de partager leurs histoires, mais ils m'ont toujours donné une énergie positive et m'ont motivé avec la résilience dont ils faisaient preuve.
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La chose la plus importante que j'ai apprise des familles déplacées pendant cette période a été la patience, l'écoute active et de ne jamais abandonner.
Quand j'ai rencontré cette famille déplacée, s'était étrange pour nous tous. La famille avait converti ce magasin vide en abri, et ils pensaient que l'homme avec une caméra était un étrange visiteur. Je n’étais pas sûr des questions que je devais poser, mais la gentillesse de mon hôte Mohammed m’a fait oublier que c’était un refuge, et j’ai eu le sentiment qu’il me recevait chez lui. Il était convaincu que les choses iraient bientôt mieux et qu'il pourrait ensuite rentrer chez lui.
C'est très difficile quand quelqu'un rentre chez lui et constate que tout a été détruit. Les paroles d’Abo Ahmad sont toujours présentes dans mon esprit bien des années plus tard. “Je vais réparer ma maison, et même si je ne peux pas, je reviendrai chez moi et je vivrai dans une tente au sommet des ruines et je me sentirai toujours comme chez moi.”
L’odeur des grains de café torréfiés m’a attiré chez Um Abdallah. Comme la plupart des gens que je rencontre, elle a été déplacée et a perdu sa maison, mais elle a tout de même conservé ses habitudes quotidiennes, comme de préparer un café le matin. Tout ce qu'elle avait à m'offrir ce jour-là était une tasse de café arabe fort et un sourire.
Les familles ont tout abandonné - parents, amis, maisons d’enfance, jouets pour enfants - pour échapper au conflit et atteindre un endroit où elles se sentiraient en sécurité et en paix. Leur voyage n’a pas été facile. Ils dormaient sur des pierres, affrontaient la peur en chemin et se préparaient à l'inattendu.
L'un des moments les plus tragiques que j'ai photographiés a été cet enfant, jetant une vieille chaussure dans le feu pour se réchauffer. À l'époque, il n'avait rien à se mettre aux pieds.
Je suis tombé sur ce tableau dans le quartier d'Al-Hamidieh dans la vieille ville de Homs, après qu'il soit devenu accessible. La peinture véhicule un message fort selon lequel les Syriens sont comme des arbres. Ils ont des racines dans le sol et, comme les arbres, ils ne veulent jamais quitter leur maison. Cela signifiait beaucoup pour moi, que les gens aient un lien avec cet endroit, et avec la Syrie en général.
J'avais le sentiment qu'après des années de conflit, les Syriens avaient l'ambition de reconstruire et de démarrer de nouveaux projets et de nouvelles vies. Mais lorsque la paix est arrivée dans les villes du pays, la joie des gens n’a pas duré longtemps. La situation économique a commencé à décliner et les familles ont commencé à réaliser que leurs luttes n'étaient pas terminées.
Vers la fin de 2019, j'ai remarqué que les sujets dont les gens parlaient avaient commencé à changer. Ils se plaignaient désormais des prix élevés des denrées alimentaires et demandaient pour la première fois le soutien du PAM. C’était quelque chose que je n’avais jamais vécu pendant la crise auparavant. Pendant les pires années, les gens avaient l'habitude de demander des articles non alimentaires, comme le gaz et l'électricité, mais pas la nourriture.
Sur les dix années de crise en Syrie, 2020 a été l'une des pires années économiques pour de nombreuses raisons: la détérioration de la situation au Liban voisin, l'effondrement de la valeur de la livre syrienne et des prix alimentaires records signifiaient qu'il n'y avait pas de fin à la souffrance. Le COVID-19 a détruit ce qui restait du système de santé épuisé. La 11e année de la crise s'annonce sombre pour les citoyens syriens.
Regarder les prix des denrées alimentaires monter en flèche au jour le jour a été l'un des plus grands défis. Personne ne croirait que cela pourrait arriver dans un pays comme la Syrie, qui autrefois produisait suffisamment de nourriture pour tout le monde. Aujourd'hui, les Syriens font la queue pour acheter du pain, du carburant et de l'essence, et 12,4 millions de personnes sont incapables de mettre ne serait-ce qu'un repas de base sur leur table.
Début mars, il m'est très pénible de voir le prix de l'huile de cuisine monter en flèche de façon exponentielle. Le PAM fournit aux familles cinq bouteilles d'huile dans leur ration alimentaire chaque mois, ce qui équivaut au salaire moyen de 50 000 livres syriennes par mois (environ 12,5 dollars EU au taux du marché noir, utilisé pour fixer le prix de tous les produits en Syrie).
J'ai passé de nombreuses années à travailler derrière l'objectif de la caméra. J'ai vu la différence que la nourriture du PAM fait dans la vie des familles qui n'ont plus rien à manger. J'ai demandé à des centaines de personnes si elles allaient bien et ce dont elles avaient besoin. Les familles ne sourient plus lorsque je leur pose ces questions.
En 2021, les Syriens auront plus que jamais besoin de notre aide. Le monde ne doit pas les oublier.
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