Santé et nutrition à l’école : Investir maintenant pour renforcer le capital humain
Par Mohamed Abdiweli Ahmed, conseiller en plaidoyer du PAM.
Version anglaise disponible ici
Sareeyo est une mère somalienne de trois enfants — dont deux garçons qui ont perdu leur père. Pour elle, les repas que ses enfants reçoivent à l'école sont une bénédiction : "J'ai été très émue quand j'ai vu les enfants rentrer à la maison le ventre plein", dit-elle.
Comme elle, des millions de parents pauvres et vulnérables dans le monde se réjouissent de savoir que la santé et les besoins nutritionnels de leurs enfants sont pris en charge à l'école. Ils en tirent un avantage économique en n'ayant pas à se soucier d'un des repas de la journée. Comme tous les pays du monde, la Somalie ne peut que bénéficier d'une population de jeunes en bonne santé et instruits, et c'est à cela que servent les services de santé et de nutrition en milieu scolaire.
L'alimentation scolaire fait partie d'un ensemble de services de santé et de nutrition proposé à l'école (qui peut comprendre l'alimentation scolaire, la distribution de suppléments de vitamines et de minéraux, de l'eau et l'assainissement, le déparasitage, la vaccination, le dépistage des troubles visuels, la lutte contre le paludisme, la gestion de l'hygiène menstruelle et la santé bucco-dentaire) qui fournissent aux enfants les calories nécessaires pour leur apprentissage, mais incitent aussi fortement les parents (qui pourraient sinon insister pour que leurs enfants, en particulier les filles, restent à la maison) à les renvoyer à l'école.
L'impact du COVID-19
Pour des millions d'enfants dans le monde, les fermetures d'écoles provoquées par le COVID-19 ont perturbé de manière tragique les services essentiels d'éducation, de santé, de nutrition et de protection fournis dans et par les écoles. Au plus fort de la crise des fermetures d'écoles, quelque 1,6 milliard d'élèves étaient déscolarisés et 370 millions d'enfants avaient manqué les repas scolaires. Pour des millions d'entre eux, le manque de repas scolaires quotidiens a entraîné une augmentation de la faim, provoquant ainsi un impact négatif sur leur santé et leur état nutritionnel. Sareeyo et sa famille en témoignent : "Lorsque j'ai appris que les écoles étaient fermées pendant 15 jours, nous étions très inquiets. Je n'étais pas en capacité de nourrir mes enfants deux fois par jour et ils avaient faim", dit-elle.
La perturbation des systèmes éducatifs et sociaux par la pandémie a affecté la vie de ces élèves ainsi que leur apprentissage et leur développement, y compris leurs besoins en matière de santé et de nutrition. Parallèlement, cette perturbation affecte le développement du capital humain, en particulier dans les contextes fragiles et conflictuels où, généralement, la situation est déjà critique en raison de périodes de désinvestissement prolongées.
Capital humain et croissance
Le développement du capital humain — l'ensemble des connaissances, compétences et conditions de santé que les individus accumulent tout au long de leur vie — est de plus en plus reconnu comme le principal moteur d'une croissance économique durable et inclusive à long terme. Les programmes de santé et de nutrition en milieu scolaire sont un rouage essentiel de ce processus.
Dans un nouveau rapport intitulé "The Human Capital Index 2020 : Human Capital in the Time of COVID-19", la Banque mondiale a mis à jour son indice (également connu sous le nom d'ICH), qui mesure le capital humain qu'un enfant né aujourd'hui devrait accumuler avant d'atteindre 18 ans. Les scores de l'ICH sont basés sur des indicateurs qui comprennent :
la survie de l'enfant (basée sur le taux de mortalité des moins de 5 ans) ;
- la scolarité et la qualité de l'apprentissage (une mesure qui porte à la fois sur le nombre d'années et la qualité de la scolarité jusqu'à l'âge de 18 ans) ;
- la scolarité et la qualité de l'apprentissage (une mesure qui porte à la fois sur le nombre d'années et la qualité de la scolarité jusqu'à l'âge de 18 ans) ;
- et la santé (une évaluation de la santé des enfants de moins de 5 ans, qui examine spécifiquement le taux de retard de croissance, ainsi que le taux de survie des adultes, c'est-à-dire la proportion des jeunes de 15 ans qui survivront jusqu'à 60 ans ou plus).
Compte tenu de ces critères, il est facile de voir comment toute intervention portant sur la santé, l'éducation et le savoir-faire des enfants devrait être au cœur du développement du capital humain.
Le score de l'ICH varie de 0 à 1, 1 signifiant que le critère "éducation complète et santé parfaite" a été atteint. Avec une moyenne mondiale de 0,56, l'Afrique subsaharienne obtient le score le plus faible (0,4), suivie de l'Asie du Sud (0,48). L'Amérique du Nord (Canada et États-Unis) a le score le plus élevé avec 0,75, puis l'Europe et l'Asie centrale avec 0,69, s'en suivent l'Asie de l'Est et le Pacifique avec 0,59. Le score de 0,4 de l'Afrique subsaharienne signifie qu'elle n'a atteint que 40 % de son potentiel en matière de capital humain, contre une moyenne mondiale de 56 %. En termes économiques, cela signifie que, si nous étions en mesure de libérer pleinement ce potentiel actuellement inexploité en assurant l'éducation et la santé des générations futures, le PIB par habitant de la région pourrait être 2,5 fois supérieur à celui d'aujourd'hui.
Le capital humain est une notion fondamentale, non seulement pour les avantages qui en découlent pour l'individu, mais aussi pour les pays. Dans les pays à revenu élevé, le capital humain représente 70 % de la richesse totale ; en revanche, dans les pays à faible revenu, celui-ci n'est que de 40 %. Cela met en évidence le cercle vicieux auquel font face de nombreux pays à faible revenu ; leur faible niveau de capital humain empêche leurs citoyens de faire plein usage de leur potentiel, ce qui rend impossible une croissance économique durable et inclusive.
Le coronavirus jette une ombre sur l'avenir
Le nouveau rapport de la Banque mondiale examine ensuite l'impact probable du COVID-19 sur le capital humain. Sur la base d'une simulation à long terme (2020–2040), il constate que les pertes d'ICH subies par la génération actuelle d'enfants et d'adolescents (0–18 ans) en raison du COVID-19 seraient de 1 % en moyenne. En d'autres termes, en plus d'autres défis, le COVID-19 pourrait retirer un point de pourcentage complet et décisif de l'ICH mondial pour une partie importante de la future main-d'œuvre en 2040.Si une baisse de 1 % peut sembler négligeable à long terme, les pertes de capital humain dues au COVID-19 sont susceptibles d'être plus importantes pour les filles dans les milieux à faibles revenus, les enfants issus de minorités, de milieux ruraux ou urbains pauvres ainsi que ceux souffrant de handicaps physiques et mentaux. Nombre de ces enfants ont souffert de pertes d'apprentissage causées par la fermeture d'écoles et ont manqué de nouvelles opportunités d'apprentissage. Pour beaucoup, cela a augmenté leur risque d'abandon scolaire, qui est particulièrement élevé pour les filles car elles sont exposées au risque de mariage et grossesses précoces et aux abus et exploitation sexuels. À mesure que les écoles rouvrent leurs portes, les programmes d'alimentation scolaire ne font pas que renforcer le capital humain à long terme d'une génération, mais servent également d'incitation immédiate pour que les élèves, et notamment les filles, retournent à l'école.
Face à ces chiffres, il est difficile de ne pas être à la fois optimiste sur ce que pourrait être notre futur, mais également dévasté par ce nous n'avons pas encore réussi à accomplir et les pertes induites par le COVID-19. Le calcul est simple : en favorisant l'accès à l'éducation et la poursuite des études, les programmes de santé et de nutrition scolaires soutiennent le développement du capital humain car ils contribuent à améliorer les résultats par rapport à l'indicateur des années scolaires — les enfants en bonne santé sont plus à même de se rendre régulièrement à l'école et, avec l'améliorations de la qualité de l'enseignement, d'obtenir de meilleurs résultats d'apprentissage.
Ces services améliorent également l'indicateur de santé : à court terme, car ils permettent de remédier aux déficits sanitaires et nutritionnels auxquels les enfants sont actuellement confrontés pendant la pandémie ; et à long terme, car ils augmentent le nombre d'années d'éducation d'un enfant. Des études indiquent que chaque année d'éducation supplémentaire peut entraîner une réduction de 2 à 3 % de la mortalité adulte. Cela peut être attribué au fait que les enfants et les adolescents ont accès à l'information et à des pratiques alimentaires et comportementales saines à l'école. Ils peuvent ainsi réduire le risque de maladies non transmissibles (diabète de type 2, maladies cardiovasculaires, etc.).
Un appel à la vigilance pour les décideurs politiques
Aucune région, ni aucun pays n'a atteint son véritable potentiel en termes de capital humain. Les gouvernements, qu'ils soient à revenu élevé ou faible et moyen, doivent continuer à investir dans leur population pour un meilleur avenir, et ce d'autant plus s'ils veulent contrebalancer la menace que le COVID-19 représente pour le développement du capital humain.
Comme le note la Banque mondiale dans le rapport sur l'ICH, pour atténuer l'impact du COVID-19 sur les gains de l'ICH, les décideurs politiques doivent mettre en place des politiques qui "étendent la couverture et la qualité des services de santé dans les communautés marginalisées, améliorer les résultats de l'apprentissage en même temps que les inscriptions scolaires et soutenir les familles vulnérables avec des mesures de protection sociale". Il s'agit là d'un appel clair aux décideurs politiques pour qu'ils fassent preuve d'un engagement crédible envers le développement du capital humain grâce à des politiques efficaces et une intensification des programmes à fort impact comme la santé et la nutrition scolaires.
Alors que de nombreux pays entament le processus de réouverture des écoles, il est nécessaire, dans l'immédiat, de répondre à l'impact négatif du COVID-19 sur les enfants. Pour ce faire, il faut relancer l'éducation à travers des interventions qui favorisent la réinscription et qui s'attaquent aux carences sanitaires et nutritionnelles pour permettre l'apprentissage. Cela permettra de s'assurer qu'aucun enfant, quel que soit son lieu de résidence et sa situation, ne soit laissé pour compte. Remplir les salles de classe d'enfants malades et affamés qui ne sont pas prêts à apprendre ne contribuera guère au développement du capital humain. C'est pourquoi le Programme alimentaire mondial (PAM) travaille avec les gouvernements partenaires pour aider à associer la réouverture des écoles à la poursuite et à l'intensification des programmes de santé et de nutrition scolaires qui, à long terme, aideront à stimuler le développement du capital humain.
Le monde se trouve maintenant à un tournant décisif où les choix en matière d'allocation des ressources auront un impact considérable sur la reprise, la résilience et le développement des pays. Pour que les générations futures puissent faire plein usage de leur potentiel humain, les programmes de santé et de nutrition scolaires doivent être au cœur de l'agenda.