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Malnutrition : La course du Yémen contre la montre

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, WFP (PAM)

Par Annaebel Symington, traduit de l'anglais

Une infirmière place le ruban gradué autour du bras fin de Rouida et le serre.

« J'avais peur qu'elle meure », dit son père, Abdul Rahman. Il ne connaît que trop bien les effets dévastateurs de la guerre.

Abdul est infirmier diplômé, mais n'a pas eu d'emploi rémunéré depuis le début de la guerre. Cruelle ironie ou bien coup de chance, il travaille bénévolement dans la même petite clinique où Rouida est soignée, dans le village d'Al Kubri, au nord-ouest du Yémen.

Rouida a deux ans. Elle souffre encore de malnutrition, mais le jour où je la rencontre avec son père, le ruban autour de son bras révèle du jaune. Elle est passée de la malnutrition aiguë sévère (ou MAS) à la malnutrition aiguë modérée (ou MAM).

Au Yémen, on peut voir cela comme une avancée.

Pour Rouida, assise sur les genoux de sa grande sœur, MAS et MAM ne signifient pas grand-chose. Elle est en train de se nourrir d'une pâte faite à base d'arachide enrichie que le Programme alimentaire mondial donne aux enfants souffrant de malnutrition. Mais le petit carré jaune a cependant un sens. C'est une preuve visible qu'elle sera en mesure de mieux combattre la maladie, et ainsi de grandir et d'apprendre.

A la suite du quatrième anniversaire du conflit au Yémen, plus des trois quarts de la population dépendent de l'aide humanitaire pour survivre. Les prix des denrées alimentaires ont plus que doublé alors que le chômage est monté en flèche. Le carburant et les médicaments sont rares car les restrictions et les fermetures dans les principaux ports ont retardé l'arrivée des fournitures essentielles. En 2018 seulement, le riyal a perdu près de la moitié de sa valeur.

La famille de Rouida a eu raison de garder espoir, mais beaucoup d'autres enfants demeurent plus durement touchés par ce conflit.

Sur les trois millions de personnes qui souffrent de malnutrition aiguë au Yémen, les deux tiers sont des enfants. La malnutrition entrave la croissance et le développement cognitif. Plus alarmant encore, la moitié des enfants du Yémen souffrent d'un retard de croissance. A ce rythme, la malnutrition engendrera une réelle « génération perdue ». La perte des capacités intellectuelles se fera sentir pendant des décennies après la fin des combats et risque d'altérer la reconstruction du Yémen.

Mais ces risques peuvent être limités par une intervention précoce et un soutien nutritionnel visant à prévenir la malnutrition en priorité. Dans la vie de chaque enfant, les 1000 premiers jours sont critiques. Le temps est précieux, et ce, dès la conception. Lorsqu'un enfant atteint son deuxième anniversaire, les dommages causés par la malnutrition sont déjà irréversibles.

Le PAM mène une course contre la montre et intensifie massivement sa campagne de prévention de la malnutrition pour 2019, s'efforçant ainsi de sauver cette génération d'enfants.

Nous offrons des suppléments alimentaires aux personnes jugées les plus à risque. L'objectif recherché est d'atteindre 700 000 enfants, soit le double par rapport à l'objectif de l'an dernier. Quelque 300 000 femmes enceintes et qui allaitent devraient également bénéficier d'un soutien nutritionnel préventif, en plus des 1,6 million de femmes et d'enfants déjà malnutris qui seront traités en 2019.

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Une intervention précoce est essentielle pour éviter que la malnutrition ne cause la mort ou des dommages irréversibles à long terme. Photo : PAM/Annabel Symington

Le village d'Al Kubri, où se situe la clinique de Rouida, est perché sur les pentes escarpées d'une vallée du gouvernorat de Hajjah. Le taux très élevé de malnutrition chez les enfants du Hadjah (jusqu'à 15% dans certaines régions) le placent dans la catégorie des urgences nutritionnelles. Le nord de la province, près de la frontière avec l'Arabie saoudite, a été le théâtre d'intenses combats, tandis que le sud est devenu un refuge pour de nombreuses personnes fuyant le conflit dans d'autres parties du Yémen.

La clinique Al Kubri voit des enfants souffrant de malnutrition réapparaître presque tous les jours. Mais lorsque ce n'est pas le cas, ce n'est pas nécessairement bon signe. En effet, une baisse du nombre de nouveaux arrivants ne signifie pas automatiquement une baisse du taux de malnutrition. Il est plus probable que les familles rencontrent des difficultés à se rendre à la clinique. Au Yémen, les transports publics sont limités, en particulier dans les zones rurales, et beaucoup n'ont pas les moyens de rejoindre les cliniques, de sorte que les familles doivent souvent marcher des kilomètres pour y parvenir.

Pour rapprocher l'aide de ceux qui en ont besoin, le PAM étend à 3 000 son réseau de centres de santé dotés de programmes de traitement de la malnutrition, contre 2 400 en 2018.

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Le gouvernorat de Hajjah révèle l'un des taux de malnutrition les plus élevés du Yémen. Photo : PAM/Annabel Symington

Je suis nouvelle au Yémen : je ne suis arrivée que plus tôt cette année. J'avais vu les images d'enfants terriblement minces avec leurs yeux enfoncés, leur silhouette squelettique et leur ventre distendu. Je connaissais les chiffres : un enfant sur trois au Yémen risque la malnutrition aiguë, mais j'avais supposé que les photographes avaient cherché les extrêmes pour illustrer la gravité de la crise. Je n'avais pas réalisé à quel point il était courant de trouver des cas aussi graves dans les cliniques et les hôpitaux du pays.

Dans la grande ville de Hodeidah, j'ai demandé à un collègue du PAM qui travaille dans le domaine de la nutrition comment il faisait face au flot apparemment sans fin de bébés souffrant de malnutrition qui arrivaient dans les hôpitaux et les cliniques. La ville portuaire a été le champ de bataille de certains des combats les plus intenses.

« Je dois me concentrer sur le positif », a-t-il dit. « Ils se font soigner. »

C'était une réponse aussi émouvante qu'il se le permettait. La course pour sauver une génération laisse en effet peu de temps pour les larmes.