Haïti : "J'ai passé toute la journée à me cacher sous mon lit. Ils ont passé toute la journée à tirer"
Lorsque Christina s'est réveillée après avoir entendu des coups de feu à 5 heures du matin un dimanche de mai, elle a décidé de se cacher sous son lit pour essayer de se protéger, elle et son bébé à naître.
"Je me suis allongée sur le ventre même si j'étais enceinte", dit-elle. "J'ai passé toute la journée à me cacher sous mon lit. Ils ont passé toute la journée à tirer".
Nous nous rencontrons dans un centre de distribution d'urgence de repas chauds du Programme alimentaire mondial (PAM) à Tabarre, une commune de Port-au-Prince, où la violence des gangs a forcé des milliers de personnes à abandonner leurs maisons au cours des deux derniers mois.
Les moyens de subsistance sont pris entre deux feux à travers Haïti alors que la violence restreint l'accès à la capitale : 1,3 million d'Haïtiens sont menacés de faim sévère - niveau 4 selon le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), et 4,5 millions de personnes sont menacées de faim en stade 3 et plus, soit près de la moitié de la population.
Le blocage complet de la route menant à la presqu'île sud, depuis un an maintenant, a isolé 3,8 millions de personnes vivant dans les départements au sud de Port-au-Prince.
"Il y a des réfugiés éparpillés partout, surtout dans les lieux publics", explique Michel Jean Baptiste, un officier de la Direction de la protection civile d'Haïti.
Le PAM a aidé plus de 62 000 personnes avec une aide d'urgence dans les zones métropolitaines cette année, avec plus de 4,1 millions de dollars en aide en espèces. Il prévoit d'aider 145 000 autres personnes dans les mois à venir. Depuis mi-mai, le PAM a fourni 44 000 repas chauds aux familles déplacées par la violence des gangs. Une aide financière d'urgence supplémentaire pour 4 500 personnes devrait commencer ce mois-ci.
Malgré les coups de feu, Christina s'est dirigée vers la porte. "C'est au moment précis où je suis partie qu'ils ont mis le feu à ma maison", dit-elle. "Les magasins étaient fermés, nous ne pouvions pas trouver d'eau. Nous ne pouvions pas manger, nous ne pouvions pas boire. La situation était très grave, ils ont beaucoup tiré. Des gens m'ont aidé dans un centre communautaire à Clercine".
Avec une instabilité politique persistante, près d'un an après le tremblement de terre dévastateur de magnitude 7,2 qui a frappé le pays le 14 août, Haïti se trouve dans une situation très instable.
"Une grande partie de la population a été coupée du cœur économique du pays", explique Jean-Martin Bauer, directeur pays du PAM en Haïti. "Nous constatons une augmentation significative de la faim dans la capitale et dans le sud du pays, Port-au-Prince étant la plus durement touchée. Cela survient à un moment où Haïti est déjà confronté aux effets de la COVID-19, aux récentes catastrophes naturelles, à la forte inflation et à la hausse des coûts en raison du conflit en Ukraine".
La hausse des prix des denrées alimentaires, du carburant et des engrais depuis le début de cette guerre aggrave une crise mondiale de la faim avec des besoins records et pousse les Haïtiens au bord du désastre, la violence sexiste et l'exploitation laissant les gens dans un état de terreur.
Pour mesurer le chaos, de nombreux hôpitaux et écoles de Port-au-Prince ont été fermés après les attaques.
Les parents ont peur d'emmener leurs enfants à l'école, raconte Romual, un enseignant : "Des coups de feu partout, parfois on ne sait pas d'où viennent les balles, elles peuvent atterrir dans la cour de l'école ou dans une salle de classe".
Cela signifie que ces enfants risquent de perdre le seul repas qui leur est garanti quotidiennement à la cantine scolaire.
"Parfois, nous demandons aux enfants s'ils ont mangé avant de venir à l'école, ils disent non, ils n'ont pas mangé avant de venir", ajoute-il.
Le PAM a pu continuer à aider les écoles dans les zones touchées avec les distributions alimentaires pour l'année scolaire 2021-2022. Le mois dernier, l'organisation a fourni une aide alimentaire à 10 000 étudiants qui ont terminé leurs examens de fin d'année en juin. Cela fait partie de la stratégie du PAM pour regagner l'accès aux communautés dans et autour de la zone métropolitaine, qui ont été gravement touchées par la violence des gangs, tout en soutenant la stratégie du gouvernement visant à réduire la violence en réactivant les cantines scolaires.
Malgré la volatilité autour de Port-au-Prince, le PAM surmonte les problèmes d'accès et continue de soutenir les habitants de la zone métropolitaine avec une aide d'urgence et des repas scolaires, en utilisant les routes maritimes et UNHAS (le service aérien humanitaire des Nations Unies, qu'il gère) pour atteindre le reste du pays.
Mais même ce service est menacé. "Sans financement adéquat, UNHAS risque une fermeture imminente d'ici la fin du mois", prévient Bauer. "En fin de compte, cela met en danger non seulement l'assistance du PAM, mais aussi les opérations humanitaires à travers le pays."
De son côté, Christina est heureuse d'avoir retrouvé la sécurité. "J'ai dû accoucher ici, j'avais faim", raconte-t-elle. Finalement, "j'ai reçu l'aide du PAM qui m'a aidé à trouver quelque chose à manger."
Pour l'année scolaire 2021-22, plus de 357 000 élèves ont reçu chaque jour des repas scolaires sains en Haïti grâce aux soutiens du Canada, du fonds Education Cannot Wait, de la France et de l'USDA.
En 2022, l'aide d'urgence du PAM à Port-au-Prince est soutenue par ECHO, le Canada, l'Allemagne et le gouvernement haïtien (Fonds d'Assistance Économique et Sociale) grâce à des fonds de la Banque internationale de développement.