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Entretien avec Naouelle, coordinatrice de programmes de transferts monétaires du PAM en Ouganda

, WFP (PAM)

Propos recueillis par Déborah Nguyen, en décembre 2017

Le PAM lutte contre la faim et la malnutrition dans près de 80 pays dans le monde, intervenant tant dans des situations d'urgence (dues à des conflits ou des catastrophes naturelles) qu'en soutien aux pays vulnérables, sujets à des épisodes chroniques de pénuries alimentaires, comme par exemple en Ouganda (Afrique de l'est). En décembre dernier, nous avons rencontré Naouelle, alors coordinatrice de programmes de transferts monétaires au bureau du PAM en Ouganda.

En Décembre dernier, nous avons rencontré Naouelle, qui nous a raconté son expérience en Ouganda.

Bonjour Naouelle, tout d'abord, peux-tu nous décrire en quelques mots ton travail en Ouganda ?

Naouelle : Je travaille pour le Bureau Pays du PAM en Ouganda en tant que responsable technique et coordinatrice des programmes de transferts monétaires (ou ce qu'on appelle les Cash-Based Transfers (CBT) en jargon humanitaire). Je suis également co-coordinatrice, avec mon équivalent technique du HCR (ndlr, Haut Commissariat aux Réfugiés) du groupe de travail sur les CBT pour l'assistance humanitaire apportée aux réfugiés.

Plus précisément j‘élabore et je développe les programmes de CBT et leurs déroulement, de la création à la mise en œuvre. Plus concrètement, j'introduis du cash dans le panier alimentaire du PAM que reçoivent chaque mois les réfugiés en Ouganda. Ce cash remplace tout ou partie du panier de denrées alimentaires, à savoir les céréales, la farine enrichie, les légumineuses, l'huile et le sel.

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Naouelle à un point de distribution dans un camp de réfugiés en Ouganda — Photo : WFP/David Arinaitwe

Par exemple en septembre dernier, le PAM en Ouganda a dû faire face à une pénurie de céréales deux semaines avant la date de distribution mensuelle. Dans ce contexte, mon rôle a été de coordonner les préparations et la mise en place en moins de 14 jours de distributions mixtes de vivres et d'argent pour environ 700 000 réfugiés. Pour cette distribution spécifique, la partie manquante de la ration de céréales a été remplacée par sa valeur monétaire dans le panier alimentaire mensuel.

Pourquoi le PAM utilise-t-il parfois des transferts monétaires ?

Le PAM, tout comme beaucoup d'acteurs humanitaires, fournit de plus en plus son assistance alimentaire sous forme de transfert monétaire.

Les avantages de l'assistance alimentaire sous forme d'argent ou de bons d'achat sont multiples; selon les contextes ce type d'assistance coûte moins cher, participe au développement de l'économie locale, apporte une flexibilité opérationnelle et surtout permet de donner le choix aux bénéficiaires de ce qu'ils veulent acheter et consommer pour répondre à leurs besoins alimentaires.

Aujourd'hui en Ouganda, environ 200 000 réfugiés reçoivent une assistance alimentaire monétaire chaque mois. Là où le PAM distribue une assistance alimentaire en transfert monétaire, les effets sur l'économie locale sont tangibles. Et c'est cela qui me motive à innover et à introduire les transferts monétaires dans le panier alimentaire !

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Une femme réfugiée sud soudanaise vient de recevoir son transfert monétaire à Adjumani (Nord Ouganda) Photo: WFP/Hugh Rutherford

Pour revenir à l'Ouganda, peux-tu nous en dire un peu plus sur le contexte ?

Le contexte en Ouganda est particulièrement intéressant et unique. L'Ouganda a accueilli plus d'un million de réfugiés sud soudanais depuis juillet 2016. Aujourd'hui, le pays héberge environ 1,4 millions de réfugiés provenant du Sud Soudan, de la République Démocratique du Congo, du Burundi et de la Somalie.

La politique d'accueil des réfugiés en Ouganda est particulièrement positive et "intégratrice" ; les réfugiés ont le droit de travailler, de se déplacer et reçoivent à leur arrivée une parcelle de terre à cultiver.

Dans ce contexte, le PAM a pour premier objectif de veiller à la sécurité alimentaire et nutritionnelle des réfugiés tout en s'assurant que l'assistance alimentaire soutienne et protège cette politique favorable à l'accueil des réfugiés.

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Camp d'Adjumani Photo : WFP/Hugh Rutherford

Qu'est ce qui te plaît particulièrement dans ton travail ?

Trois choses majeures.

La première, c'est l'adrénaline que me procure ce type de travail dans ce contexte. J'ai rejoint le bureau pays en octobre 2016 et je n'ai pas eu une seconde d'ennui depuis ! Au PAM, on ‘livre'. Et on le fait vraiment, en équipe, quelques soient les délais !

La deuxième, c'est d'avoir la chance de pouvoir développer des projets de A à Z et de les suivre jusqu'à leur mise en œuvre sur le terrain.

La troisième et la plus satisfaisante, est d'assister aux distributions de nourriture et interagir avec les personnes qui en ont besoin. Une distribution alimentaire, soit sous forme de vivres, soit sous forme de transfert monétaire, est l'objectif ultime de toute opération du PAM. Assister et participer à une distribution me rappelle pourquoi je fais ce job.

Que trouves-tu le plus difficile dans ton travail ?

Peut-être le contre-coup de cette urgence… Je ne me déconnecte jamais vraiment, même en congés.

Qu'est-ce que ce travail t'a appris ?

Tellement de choses, aussi bien au niveau technique que relationnel. Il y a un an je n'aurais jamais imaginé être capable de mettre en place ce type d'opérations. Dans un contexte aussi dynamique, on développe, on met en place, on apprend de nos erreurs puis on fait de mieux en mieux la fois suivante.

Peux-tu nous raconter une anecdote tirée de ton travail sur le terrain ?

Celle qui me vient à l'esprit est plutôt récente. Lors des dernières distributions dans le nord du pays, nous avons eu plus de problèmes à atteindre et sortir des sites de distributions qu'à distribuer! Pendant les deux premiers jours, on a passé une grosse partie de la journée à défier les mares de boues et les rivières apparues au petit matin. Les réfugiés vivent dans des zones rurales pas toujours faciles d'accès, aux routes non bitumées, et pendant la saison des pluies, quand il pleut, il pleut vraiment… et les véhicules s'embourbent. Le premier soir, sur la route du retour, un camion poids lourd est resté coincé dans la boue, puis les véhicules qui ont essayé de le contourner sont restés coincés à leur tour, bloquant tout passage de nos véhicules. Pendant que nos chauffeurs portaient assistance aux véhicules coincés, nous préparions le campement pour la nuit. Et puisque nos chauffeurs sont exceptionnels, nous avons pu reprendre la route et reporter le camping à la belle étoile !

Et une deuxième anecdote qui me revient… Emh, ce n'est pas correct si je raconte que j'ai fait pleurer un bébé, pendant une inscription au cash ? Il a eu peur en me voyant, j'étais la première « muzungu* » qu'il rencontrait de toute sa vie ! (*ndlr: "étrangère" en swahili). Il pleurait tellement que sa mère a dû sortir de la salle de classe dans laquelle se déroulait l'inscription. Toute la salle a éclaté de rire. Et j'étais super gênée.

Comment as-tu décidé de travailler comme humanitaire ?

J'ai eu ce déclic pendant mes études, lorsque j'étudiais les relations internationales, et j'ai tout fait ensuite pour rejoindre ce monde humanitaire. Et depuis, c'est une addiction et je ne peux plus m'en défaire !

Remerciements à la France : Naouelle a été engagée par le Gouvernement français pour le PAM d'octobre 2014 à 2017 dans le cadre du programme jeunes experts associés (JEA/JPO).

Plus d'information sur le programme jeunes experts associés du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères de la France : https://goo.gl/7GP7wy

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Naouelle en mission en Ouganda — Photo : WFP/Tigest Sendaba