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Dans les coulisses du travail humanitaire

Lorsqu'un conflit éclate ou qu'une catastrophe naturelle frappe un pays, le Programme alimentaire mondial (PAM) est en première ligne pour fournir une aide alimentaire et nutritionnelle aux personnes affectées. Dans ce récit, six travailleurs humanitaires révèlent les plus grands défis auxquels ils ont fait face et les leçons les plus difficiles à tirer de leur travail lors de crises humanitaires.
, WFP (PAM)

Par Dominique Sabella, traduit de l'anglais

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En proie à la violence, aux bouleversements sociaux et aux difficultés économiques, des milliers de familles du nord-est du Nigeria ont désespérément besoin d'une aide alimentaire. Photo : PAM/ Rein Skullerud

Situation d'urgence : une équipe se forme. Qu'est-ce qu'il vous faut pour mettre en place une intervention en cas de crise ?

Le responsable de programme : Que s'est-il passé ? Où ça ? Combien de personnes ont été touchées ? De quel type d'aide aura-t-on besoin et pour combien de temps ? Les réponses à ces questions clés nous permettent de comprendre l'ampleur et la gravité d'une crise. Elles contribuent à façonner nos opérations d'aide. Les préoccupations concernant le financement de l'intervention ne sont jamais très loin derrière.

L'économiste : Nous avons besoin d'informations et nous en avons besoin rapidement. Une fois la situation stabilisée, nous surveillons l'agriculture, le climat, les taux de change, les marchés, c'est-à-dire tous les facteurs qui peuvent affecter la disponibilité de la nourriture ou l'accès des populations à celle-ci. Maintenant que nous avons des drones, des téléphones mobiles et des satellites, nous n'avons plus de « points noirs » dans les données ; la technologie nous permet d'obtenir plus d'information que jamais auparavant. Aujourd'hui, nous pouvons même obtenir des informations dans les zones assiégées.

La responsable communication : Pour nous préparer à tout scénario, nous devons comprendre les événements au fur et à mesure qu'ils se déroulent. La surveillance des médias est essentielle. Nous restons en contact étroit avec l'équipe programme afin de savoir quelles sont les interventions d'urgence prévues et où se situent les besoins les plus urgents. Nous travaillons aussi beaucoup avec la chaîne d'approvisionnement pour avoir accès au terrain et recueillir du contenu qui met en avant notre réponse.

La responsable de la chaîne logistique : Lorsque nous envoyons des camions en situation d'urgence, une gestion efficace et adéquate des véhicules est cruciale. Il est important pour mon équipe d'allouer les bonnes ressources aux bonnes personnes. La préparation est la clé ici, de sorte que lorsqu'une situation d'urgence survient, toutes les ressources disponibles sont maximisées. Nous travaillons avec d'autres unités de la division de la chaîne d'approvisionnement, comme l'expédition et l'approvisionnement, pour nous assurer que toutes les étapes soient effectuées en temps opportun.

La nutritionniste : Il faut beaucoup de coordination en plus d'une capacité d'adaptation à l'évolution rapide de l'information. Nous utilisons les connaissances techniques pour évaluer les besoins et concevoir des programmes de nutrition et de diplomatie pour discuter avec le gouvernement et les partenaires, sur la meilleure façon de compléter nos efforts. Il est également nécessaire d'identifier et de former des partenaires capables de mettre en œuvre des activités de nutrition et de nous rendre dans les zones touchées.

La médecin en chef : Nous recueillons de l'information sur la santé publique, en particulier sur les problèmes de santé évitables, sur les lieux de l'intervention d'urgence. Notre médecin régional sur le terrain effectue une évaluation de l'infrastructure sanitaire locale, qu'il s'agisse d'hôpitaux ou de cliniques gérés localement ou de ceux gérés par des ONG ou le secteur privé. Nous préparons les vaccins et la trousse médicale d'urgence nécessaires et identifions où ces ressources sont disponibles sur le terrain. Notre objectif est de veiller à ce que le personnel soit en bonne santé physique et prêt psychologiquement à intervenir en cas d'urgence, et qu'il le reste pendant qu'il est sur le terrain.

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Depuis le début de la crise syrienne en 2011, le PAM est en première ligne pour fournir une aide alimentaire et nutritionnelle. Photo : PAM/Marwa Awad

Chaque métier a son lot de défis. Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Le responsable de programme : Nous essayons d'être plus stratégiques, et à plus long terme, dans notre façon de répondre aux besoins en matière de sécurité alimentaire et de nutrition. L'intervention en cas de catastrophe naturelle en est un excellent exemple. Nous encourageons le gouvernement à prendre les initiatives, mais parce que nous avons des ressources comme des connaissances techniques que le gouvernement n'a pas nécessairement à leur disposition, nous le faisons parfois.

L'économiste : Vous allez sur le terrain, vous entendez et vous voyez les problèmes. Vous savez ce qui doit être fait, et vous voyez même la solution. Vous faites alors une analyse juste de la situation. Vous présentez vos conclusions aux personnes qui peuvent faire la différence — puis vous faites face à un manque de fonds.

La responsable communication : Malheureusement, avec tout ce qui se passe dans le monde, le flot d'informations dans les médias grand public et avec l'ère des médias sociaux, nous devons maintenant travailler encore plus pour parler de notre travail et atteindre notre public.

La responsable de la chaîne logistique : Il est parfois difficile, pour les nouveaux venus dans le domaine de l'humanitaire, de trouver sa place, surtout dans un contexte d'urgence où les enjeux et les tensions sont élevés.

La nutritionniste : Dans les premières étapes d'une urgence, il est souvent difficile d'obtenir de l'information sur la situation nutritionnelle, ce qui rend la planification difficile. Il peut aussi être très difficile d'acheminer des aliments nutritifs spécialisés là où nous en avons besoin.

La médecin en chef : Je suis toujours préoccupé par les infrastructures médicales dans les endroits où nous exerçons nos activités. Il est important de s'assurer que les gens soient en bonne santé avant de leur donner une nouvelle affectation. Nous offrons également une formation en premiers soins pour enseigner au personnel ce qu'il doit faire s'il se blesse ou si d'autres sont blessés.

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Il faut protéger et maintenir une bonne nutrition, en particulier pendant les crises. Photo : PAM/Kabir Dhanji

Qu'est-ce qui vous empêche de dormir la nuit dans votre travail ?

Le responsable de programme : Alors que nous essayons de passer d'un rôle d'acteur humanitaire qui répond aux besoins des populations à un rôle axé sur la mise en œuvre et l'autonomisation des populations pour leur permettre d'accéder à des moyens de subsistance, nous aurons bientôt besoin de compétences différentes pour que l'aide alimentaire ne soit plus que du passé. La question qui se pose alors est de savoir si nos capacités correspondent à ces nouveaux objectifs.

L'économiste : La mondialisation, ce vieux mot à la mode. Les plus pauvres seront moins productifs à cause d'une mauvaise nutrition. Les enfants ne deviendront pas des adultes en bonne santé et productifs, capables d'atteindre pleinement leur potentiel. Et pourtant, ils devront vivre dans ce même monde globalisé.

La responsable communication : Essayer d'être humain face à une profonde inhumanité. Quand je parle aux gens et que je me renseigne sur leurs combats et ce qu'ils ont perdu, je ressens des émotions que tout être humain ressent : colère, incrédulité, désespoir. J'ai appris que ces émotions nous permettent de nous identifier à ceux que nous essayons d'aider. J'aurais pu être à la place de n'importe laquelle de ces personnes si ce n'était de la chance accidentelle du tirage au sort que nous appelons la naissance. J'essaie de retransmettre ça dans les histoires que je partage pour que les lecteurs puissent se reconnaître en ces personnes. Cela peut, peut-être, les motiver à aider en faisant un don.

La responsable de la chaîne logistique : Je forme beaucoup de personnel sur le terrain à l'utilisation d'outils qui aident à surveiller la rentabilité des véhicules. Je me demande souvent si la formation sera également utile à mes collègues à long terme.

La nutritionniste : Tout retard inattendu m'inquiète. La raison en est simple : tout problème de livraison de nourriture ou d'accords de partenariat peut retarder l'accès à l'aide nutritionnelle.

La médecin en chef : Les évacuations sanitaires. Nous avons un personnel de 16 000 personnes qui travaillent dans certaines des régions les plus reculées du monde. Lorsque les gens sont gravement malades ou lorsqu'il y a une maladie qui ne peut être traitée localement, nous devons trouver un établissement à proximité, et ce n'est pas toujours facile. L'obligation de visa peut restreindre l'accès des personnes à un établissement de santé dans un autre pays, et même une urgence médicale ne peut l'emporter sur ce point.

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Le PAM a appuyé la réponse médicale à l'urgence Ebola 2014–2016 en apportant un soutien aux communautés alimentaires touchées par l'épidémie en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone. Photo : PAM/ Rein Skullerud

Partagez l'une de vos expériences en situation d'urgence qui vous a marqués.

Le responsable de programme : Abyei, Soudan, 2008. Nous étions au milieu de deux parties belligérantes et nous essayions d'être dans un espace neutre. Après avoir réinstallé 100 000 personnes, nous avons été bombardés pendant huit heures d'affilée. Alors que beaucoup d'entre nous ont été évacués vers Khartoum par hélicoptère, une partie du personnel national a couru dans la brousse. Quelques jours plus tard, certains d'entre nous sont retournés à Abyei pour évaluer la situation, et j'en faisais partie. J'y ai revu beaucoup de gens que je connaissais déjà : membres de la famille du personnel recruté sur le plan national, commerçants. C'était difficile parce que soudain, il ne s'agissait plus seulement d'une rupture dans la chaine d'approvisionnement, il était question d'efforts personnels et on ressentait une forte responsabilité. Il m'a fallu beaucoup de temps pour assimiler cette expérience.

L'économiste : J'étais en mission au Darfour avec quelques collègues. Notre véhicule a été arrêté. C'était la panique : nos mains se sont toutes levées, lentement. On nous a finalement laissé partir. Parfois, je me demande, aurions-nous eu autant de chance si cela s'était déroulé aujourd'hui ? Je n'en suis pas si sûr.

La responsable communication : Je n'oublierai jamais mon arrivée à Douma le 15 mars 2018, le jour qui a marqué le début du soulèvement syrien il y a sept longues années. A l'intérieur de la ville assiégée, tout le monde, jeunes et vieux, nous suppliait, moi et mes collègues, de les évacuer. La nourriture était la dernière chose à laquelle ils pensaient ; ce qu'ils voulaient, c'était s'échapper. Aucun mot de réconfort ne pouvait apaiser la population coincée à l'intérieur de Douma. J'ai vu les limites de notre mission humanitaire, et ça m'a brisé le cœur.

La responsable de la chaîne logistique : J'étais en République centrafricaine récemment, lorsque la situation en matière de sécurité s'est détériorée. À un moment donné, on ne pouvait plus quitter nos logements parce que c'était trop dangereux pour nous de sortir. Je m'inquiétais de beaucoup de choses.

La nutritionniste : En 2009, je travaillais avec la Croix-Rouge française à Agadez dans le nord du Niger. Un jour, la ville et ses environs ont connu des précipitations sans précédent qui ont provoqué de graves inondations. Je me souviens m'être réveillé le matin en voyant l'eau couler dans la rue comme une rivière. La pluie a causé tant de ravages : des milliers de personnes ont été touchées et beaucoup ont perdu leur maison. Même si nous n'avions pas d'électricité pendant quelques jours, nous avons dû accélérer nos opérations sur la nutrition. J'ai pu constater par moi-même qu'un seul événement comme une catastrophe naturelle peut être désastreux dans des situations fragiles.

La médecin en chef : La réponse Ebola en 2014. Il y avait tant de défis à relever pour faire face à cette crise sans précédent. On étudie le virus dans les manuels scolaires mais on n'a aucune expérience concrète. Très peu de professionnels de la santé ont déjà fait face à ce type de situation lorsqu'il s'agit du virus. Lorsqu'il y avait un cas présumé au siège, nous avions besoin d'apaiser le personnel, mais nous étions également chargés de maintenir les voies de communication ouvertes avec la ville de Rome, le ministère de la Santé et les autres structures du gouvernement hôte. Nous avons dû repenser nos procédures et nos protocoles.

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Les biscuits à haute valeur énergétique (HEB) sont utilisés dans les premiers jours d'une situation d'urgence, lorsque les équipements de cuisines sont rares. Ils fournissent une solution rapide pour améliorer le niveau de nutrition. Photo : PAM/Marco Frattini

Quel message souhaiteriez-vous faire passer ?

Le responsable de programme : Nous devons cesser de considérer les urgences comme des événements ponctuels. L'instabilité des phénomènes climatiques, l'augmentation des températures et des précipitations, l'impact du changement climatique sur la sécurité alimentaire et la concurrence pour les ressources alimenteront les conflits, et les conflits alimenteront la faim.

L'économiste : L'essentiel, c'est qu'aujourd'hui, nous pouvons voir et entendre davantage à travers nos outils numériques, et cela soulève la question de savoir si nous pouvons faire plus ? Le problème analytique d'aujourd'hui n'est pas que nous n'avons pas assez d'informations, mais de savoir comment les rendre significatives sur le plan opérationnel.

La responsable communication : Visiter des villes à travers la Syrie et les voir détruites est déchirant parce que ce sont des maisons, des moyens de subsistance et les histoires des gens qui disparaissent. Ça me fait mal de voir notre héritage commun en ruines. Les destructions omniprésentes sont accablantes et en disent long sur l'échec de la communauté internationale à mettre fin à la violence insensée qui a ruiné des vies et le tissu social d'un beau monde.

La responsable de la chaîne logistique : S'attaquer aux problèmes fait partie de l'ADN du PAM, et du mien aussi. C'est remarquable de travailler pour une organisation avec autant de collègues passionnés qui se donnent souvent beaucoup de mal pour aider les gens.

La nutritionniste : Mon intérêt pour la nutrition, tout comme ma motivation, découle de ma conviction que chacun a droit à une bonne nutrition. Elle doit être protégée et renforcée, en particulier dans les situations d'urgence ou de crise.

La médecin en chef : Malgré les difficultés, les situations d'urgence peuvent mener à un travail d'équipe des plus efficaces. Forts des leçons tirées de nos expériences passées, nous sommes prêts à intervenir en cas d'urgence, où que ce soit et peu importe quand.

Nous remercions tout particulièrement nos collègues d'avoir accepté de témoigner : Brian Bogart, responsable de programme ; Arif Husain, économiste en chef ; Marwa Awad, responsable communication ; Mathilde Wateau, responsable de la chaîne logistique ; Diane Ashley, nutritionniste, et Yimei Cao, médecin en chef.

En tant que responsable de programme régional pour le bureau de l'Afrique australe du PAM, Brian est chargé d'appuyer la conception et la mise en œuvre des programmes dans 11 pays. Il est devenu membre du Congressional Hunger cambodgien en 2005. Depuis, son travail l'a amené en Afrique australe, au Soudan, au Soudan du Sud, au Kenya, à New York et au siège du PAM à Rome, en Italie.

L'économiste en chef et directeur adjoint de l'analyse et des tendances de la sécurité alimentaire, Arif, analyse les facteurs qui influent sur la sécurité alimentaire dans les pays en développement. Mondialisation, technologie, migration : ses domaines d'intérêt et de recherche couvrent de nombreux sujets. Avant de rejoindre le PAM, Arif a travaillé à la Banque mondiale. Il est titulaire d'un doctorat en agriculture et en économie appliquée. Il était récemment en mission au Nigeria et en Syrie.

Avant de rejoindre le PAM en 2014, Marwa était correspondante de Reuters et écrivait pour le Guardian. Elle a couvert le printemps arabe en Egypte et a ensuite voyagé à travers la région. Elle a travaillé pour le PAM lors des crises irakienne et syrienne.

Mathilde a d'abord rejoint le PAM en tant que stagiaire au sein de la Global Fleet Team, la branche logistique du PAM qui maintient la capacité de transport d'urgence. Aujourd'hui, elle se concentre principalement sur "Fleetwave", le système de gestion des équipes du PAM utilisé par les bureaux sur le terrain pour suivre l'évolution des coûts. Elle a été en mission à Djibouti, au Burundi et en République centrafricaine.

Demandez à Diane pourquoi elle travaille pour le PAM et vous obtiendrez une réponse simple : « l'organisation est l'un des seuls acteurs capables de répondre à l'échelle d'une crise nutritionnelle en fournissant une aide humanitaire au moment où elle en a le plus besoin ». Diane a travaillé comme nutritionniste au Niger, en Mauritanie, au Burkina Faso, au Laos, en République démocratique du Congo (RDC) et au Tchad. Elle détient un Bachelor scientifique en nutrition et diététique et une maîtrise en nutrition de la santé publique.

Médecin spécialisée en médecine interne, Yimei travaille maintenant en médecine du travail. Elle a rejoint le Service médical du PAM en 2013. Sa mission la plus récente s'est déroulée dans la région somalienne de l'Éthiopie, où elle a évalué l'infrastructure sanitaire et médicale locale à la disposition du personnel du PAM.

Pour en savoir plus sur le travail du PAM pour sauver des vies et changer des vies.

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Nigeria — Photo : PAM: Rein Skyllerud