Skip to main content

La faim avance avec la crise financière

ROME – Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM) a communiqué aujourd’hui les résultats d’une enquête menée dans 5 pays sur l’impact de la crise financière sur les familles, dont beaucoup souffrent déjà de la faim.

Alors que les ministres du développement du G8 se réunissent aujourd’hui à Rome, en vue du sommet qui se tiendra en juillet prochain, la Directrice Exécutive du PAM, Josette Sheeran, en appelle aux gouvernements de renforcer leurs dispositifs de protection sociale à cette conjoncture critique, maintenant que l’impact de la crise économique se fait fortement sentir parmi les ménages les plus pauvres.

“Dans chacun des cinq pays étudiés, nous sommes alarmés de noter que l’évaluation projette que plus de personnes dans le monde en développement s’enfonceront dans la faim et la misère. Le rapport montre que pour ceux qui vivent avec moins de 2 dollars par jour, la crise financière contribue à l’avancée de la faim, mais que le pire est encore à venir,” précise Josette Sheeran.

L’étude s’est concentrée sur l’Arménie, le Bangladesh, le Ghana, le Nicaragua et la Zambie, mais tend à illustrer la situation dans des pays confrontés à des défis semblables. Les experts de sécurité alimentaire du PAM indiquent que pour joindre les deux bouts, la majorité des ménages réduisent le nombre de repas quotidiens ou achètent désormais des denrées moins coûteuses mais aussi moins nutritives. Certaines familles réduisent leurs dépenses en soins de santé ou sont contraintes de retirer leurs enfants de l’école.

Le PAM a développé un indice de choc économique et alimentaire ( ESHI- en anglais : Economic Shock and Hunger Index), qui utilise des variables économiques et des indicateurs de securité alimentaire pour identifier quels pays seront les plus touchés par la crise financière. 126 pays ont été analysés et une liste de « veille » de pays prioritaires a été établie. Dans ces pays, les facteurs tels les renvois d’argent, les exportations, la dette ou les fluctuations du taux de change pourraient limiter le pouvoir d’achat de nourriture des personnes concernées. En se basant sur l’index ESHI, le PAM a sélectionné 5 études de cas spécifiques.

Les communautés pauvres se remettent tout juste de la hausse spectaculaire des prix de l’alimentation et du pétrole en 2008, ajoute Josette Sheeran, et la crise actuelle menace de réduire à néant les progrès acquis en matière de lutte contre la faim. Les prix des aliments restent très élevés et avec la récession, de nombreux travailleurs émigrés ne sont plus en mesure d’envoyer de l’argent à leurs familles restées au pays, afin qu’elles puissent se nourrir.

“Il y a un risque réel d’aggravation de la faim chronique, ce qui renverserait la tendance positive de ces dernières années,” souligne Josette Sheeran.

Les études démontrent que les groupes les plus touchés par la crise financière sont les ouvriers non qualifiés dans les zones urbaines, les familles qui dépendent entièrement des transferts d’argent depuis l’étranger, les travailleurs licenciés des secteurs de l’export, de l’industrie minière et du tourisme. Les plus sévèremment frappés ne sont pas nécessairement les plus démunis des pauvres, mais une nouvelle catégorie qui doit faire face à un dérapage abrupte dans la misère.

Recommandations:

- Redoubler d’efforts en matière de sensibilisation pour encourager les gouvernements à maintenir leurs budgets de protection sociale,

- Soutenir les gouvernements dans le renforcement des systèmes de protection sociale, y compris des projets d’infrastructure publique et des interventions liées à la nutrition des enfants et des femmes, comme par exemple les cantines scolaires,

- Renforcer les systèmes de veille pour suivre en temps réel l’évolution de la sécurité alimentaire.

La Directrice Exécutive a souligné que le coût de réduction de la faim dans le monde reste très modeste par rapport aux plans de sauvetage des institutions financières et l’industrie automobile qui s’élèvent à des milliers de milliards de dollars.

En 2009, le PAM a besoin de 6,4 milliards de dollars pour subvenir aux besoins alimentaires urgents de 105 millions de personnes.

Les 5 cas étudiés :

- En Arménie, un cas typique des pays dépendant des renvois d’argent des travailleurs émigrés, l’impact de la crise financière s’est fait sentir immédiatement. L’étude souligne la situation déplorable des Arméniens devenus de “nouveaux pauvres”. De nombreux travailleurs émigrent pour travailler dans le secteur du bâtiment en Russie ou en Europe. Les renvois d’argent, qui représentent 20 % du PIB arménien et la principale source de revenus pour près d’un quart des ménages—ont chuté d’un tiers au premier trimestre 2009 par rapport à l’année précédente. Le PAM est préoccupé par le risque de pénuries, particulièrement pour l’hiver à venir. Beaucoup de foyers achètent déjà de la nourriture à crédit, risquant ainsi de s’enliser dans une spirale de dette sans fin.

- Le Nicaragua lui aussi dépend fortement des renvois d’argent et constitue un exemple de pays extrêmement sensible aux effets du ralentissement économique aux Etats-Unis. L’économie était déjà fortement touchée suite à des inondations et à l’ouragan Felix. L’inflation des prix alimentaires a atteint son apogée en août 2008 avec 34% d’augmentation. Les modes de consommation évoluent car les ménages se privent désormais de viande et de produits laitiers. Les familles tentent d’y remédier en vendant leur bétail, en dépensant moins pour les soins de santé et l’éducation - certaines d’entre elles vont jusqu’à retirer leurs enfants de l’école. La crise mondiale va sans doute également toucher le marché des exportations à forte valeur ajoutée comme le café, les fruits de mer et le secteur de l’habillement destiné au marché américain.

- En Zambie, les prix de l’alimentation sont exceptionnellement élevés et les prix de l’alimentation de base sont 2 tiers plus chers qu’à la même époque l’an dernier. De nombreuses familles ont d’ores et déjà réduit leur nombre de repas quotidien, et consomment de la nourriture moins chère et moins nutritive. Comme dans de nombreux pays, les taux de change et les exportations ont été sévèrement affectés. La devise locale a perdu un tiers de sa valeur contre le dollar américain entre mars 2008 et 2009, et le prix du cuivre, principale matière exportée, a fait une chute libre. On estime qu’environ 8 000 emplois ont été perdus dans la province relativement prospère du Copperbelt, où près de 30 000 personnes sont employées dans le secteur minier. Les mineurs dépendent fréquemment de leurs employeurs pour leurs repas quotidiens et leur soins médicaux, notamment antirétroviraux. L’industrie du tourisme est elle aussi gravement atteinte, et les vols et la prostitution sont en constante augmentation.

- Le Bangladesh est parmi les 5 pays au monde à recevoir le plus de renvois d’argent depuis l’étranger. Ce pays a fait des progrès remarquables vers l’accomplissement de certains Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Cependant, ces derniers mois, des milliers de travailleurs du Bangladesh ont été contraints de rentrer chez eux au premier trimestre 2009, et les migrations se sont réduites de 40 % par rapport à la même période l’année dernière. Désormais les commandes de prêt-à-porter ont chuté ainsi que les exportations de poissons. Ce pays doit encore faire face à de nombreux défis. Une étude conjointe du PAM, de l’UNICEF et du gouvernement du Bangladesh, réalisée fin 2008, a montré qu’un habitant du Bangladesh sur 4 n’avait pas un accès à l’alimentation. 20% de la population est atteinte de malnutrition sévère chronique.

- Le PAM craint principalement que la récession mondiale anéantisse les progrès de ces dernières années en matière de lutte contre la faim. Le Ghana a été retenu dans l’étude car il représente un pays qui a fait des progrès conséquents dans sa réduction de la pauvreté et dans le développement de son système de protection sociale. Mais les investissements, les renvois d’argent et les exportations d’ananas et de bois ont chutés, même si le cacao et l’or, ses principales exportations, sont restés stables. Les prix des denrées alimentaires sont très élévés. L’étude met en evidence une baisse de la qualité et de la quantité de nourriture consommée. Dans les endroits les plus en proie à la faim, dans la savanne par exemple, les femmes qui récoltent les noix de karité pour l’industie cosmétique sont particulièrement atteintes.